chapitre 1: nuit sur la mer

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" Anna, j'espère que tu as fait l'effort de copier la leçon et que tu feras l'effort de me le prêter pour que je puisse la recopier chez moi ce soir parce que sinon je vais avoir du mal à m'en sortir au prochain contrôle... Je n'ai pas compris un mot du cours." Margot se tourna vers la forme affalée sur la table à côté d'elle. Cela répondait à sa question ; Anna aurait eu du mal à écrire dans cette position. Margot donna un coup de coude dans les côtes de son amie endormie qui poussa un cri retentissant dans toute la classe. Anna se rendit de suite compte de son indiscrétion et les deux jeunes filles arrêtèrent de respirer, suivant du regard le professeur qui visiblement ne les avait pas entendues et continuait de faire son cour à l'autre bout de la classe. "Pourquoi m'as-tu réveillée ? gémit Anna.

_ Je ne sais pas. C'est vrai que tu n'es pas très utile. Mais je suppose que tu en aurais fait de même pour moi. " Anna soupira et se rallongea sur la table. "Je pense que je ne l'aurais pas fait, comme ça je n'aurais pas à subir tes remarques désagréables et inutiles elles aussi.

_ Ça va, tu sais très bien que je plaisante. Mais je t'en supplie ne te rendors pas, j'ai besoin du cours...

_ Et tu ne peux pas te l'écrire, ton cours ?

_ Non... malheureusement mon cerveau n'arrive pas à ordonner à mes mains de saisir un stylo et tracer des lettres... Je ne sais pas ce qui lui arrive...

_ En tous cas il n'a pas de mal à ordonner à ta bouche de raconter n'importe quoi." Margot prit une grande respiration et déclara d'un air solennel: "Ah, Anna, même à moitié endormie tu gardes ton humour si sophistiqué, ça me fait plaisir.

_ Ne te moque pas... Et pour en revenir à tout à l'heure, on ne risque pas d'avoir un contrôle, le conseil de classe est passé depuis une semaine je te rappelle. Je ne comprends pas pourquoi cet imbécile continue de nous faire cours. Tu te rends compte ? Plus que trois petits jours et c'est enfin les vacances...

_ Parle pour toi, grommela Margot. Je dois rester jusqu'à la fin officielle des cours, moi.

_ Arrête de parler et laisse-moi dormir s'il te plaît. Il y a beaucoup plus à faire dans mes rêves qu'ici, je peux te le garantir.

_ Tu insinues que tu t'ennuies avec moi ?" Margot n'obtint aucune réponse d'Anna qui s'était de nouveau allongée sur la table. Elle soupira. Cela faisait tout de même cinq ans qu'elle la fréquentait tous les jours, et elle avait toujours autant de mal à discerner son réel caractère. Anna était si étrange, à la fois présente et absente, à la fois gentille et agressive, à la fois son amie et son ennemie. Margot se demandait ce qu'il l'avait attirée chez elle. Peut-être bien étais-ce cette sorte de grain de folie, en fait. Quoi qu'il en fût, actuellement, elle détestait sans aucune raison valable cette silhouette sombre qui se soulevait et retombait au rythme lent de sa respiration. Désespérée, Margot saisit enfin un stylo, et son cerveau semblant avoir enfin réussi à récupérer le contrôle de ses mains, elle commença à écrire le cours.

On était en début juillet, les vacances commençaient juste. Et comme presque tous les matins de vacances, Anna sortit de chez elle de bonne heure, alors que ses parents dormaient encore, en prenant son petit sac à dos qui contenait un grand carnet, des crayons, de la peinture, de la colle et une bouteille d'eau. Il lui fallait juste ça pour s'occuper une journée entière. Elle quitta la maison endormie et prit la direction de la plage par un sentier poussiéreux qu'elle connaissait par cœur. Anna était une fille simple, qui vivait de choses simples, et d'ailleurs, le simple fait de sentir le vent encore frais et d'entendre les mouettes au loin lui donnait le sentiment de revivre. Et quand elle arriva sur la plage, elle se sentit chez elle plus que jamais. Comme tous les matins, elle sortit ses affaires de son sac et regarda la mer d'un air profond en quête d'inspiration. Elle pouvait rester allongée ainsi des heures dans le sable argenté qui devenait froid et collant quand elle restait allongée trop longtemps dessus. Au début, ses parents s'inquiétaient de voir leur petite fille s'en aller quand le soleil apparaissait et revenir seulement quand il disparaissait derrière la mer. Mais c'était devenu une habitude, et maintenant ils se disaient : « Après tout, quel mal cela fait?  ». Un jour, le grand-père avait dit : « Anna, c'est comme l'eau pure qu'on essaye de recueillir au creux de ses mains pour la boire ; elle s'enfuira de tous les côtés avant qu'on ait eu le temps de la porter à sa bouche et replongera dans le courant. Jamais elle n'appartiendra à autre chose qu'à ce courant qui l'emmène à un endroit que l'on ne sait pas, mais où elle doit aller. »

La Pierre d'EnhenaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant