Prologue : être et devenirs

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Mon lecteur, je vais t'emmener en voyage au pays des secrets, les miens et ceux de ma famille. Je t'en ferai entrevoir les non-dits, les douleurs, les misères, mais aussi, les chemins et les voies de traverse qui peuvent conduire au bonheur, quand bien même on sortirait de la boue, tel Adam ou bien Ève, façonnant notre identité. De quelle terre suis-je né ? Qui je suis ? Je commencerai par ceci :

Notre identité est un mystère qu'on passe une vie à comprendre et définir.
Elle est un travail permanent, une permanente définition.

Identité : Le mot mérite  qu'on s'attarde en deux lignes à son étymologie. Il signifie « même ». Avoir une identité, c'est avoir un rapport d'équivalence avec soi-même dit le dictionnaire. Encore faudrait-il savoir ce que l'on est ? Et pour cela, on ne dispose que des autres. Pourtant, très tôt, ce qui attacha mon attention, ce ne furent pas mes points communs, mais mes différences. Elles m'isolaient, me donnaient pour compagne la solitude et le sentiment d'être regardé par les autres comme singulier, différent et étrange ; ceux qui jugent diraient même anormal, exotique, marginal, peut-être même fou, ou encore sale con. Je ne laisse pas indifférent. Je ne suis en effet pas dans les normes.

Je suis un original. Je n'ai pas de copie. Comme tout le monde, me direz-vous. Mais tout le monde ne prend pas pelage d'un félin en guise de peau ! Et pour comprendre qui je suis, j'ai dû apprendre à regarder dans les autres ce que j'avais de commun avec eux tout autant que ce qu'ils me renvoyaient de moi était dans ma différence et que je ne comprenais pas. Ils formaient communauté. Moi, je me sentais isolé   Mon identité s'est construite à l'envers de la ressemblance, parce que ce que l'on m'a montré, était d'abord mes singularités.

Tout en moi est à l'émotion. Tout en moi est à l'extrême et va de la terreur à la plus sublime des joies de l'amour. Pour que cela tienne, pour que mon identité ne fasse qu'une, il fallait un monde ou l'amour, la cruauté comme la plus douce tendresse, n'exprime les signes que d'une seule unité, d'un seul cœur. En moi, toute émotion ne prend son sens dans son ampleur que si elle n'est que la manifestation de l'amour et de lui seul ! Aussi, fort tôt, j'ai appris à composer : La dépendance comme le soin, les coups comme les caresses, l'humiliation comme la tendresse, tout ne devait former qu'un, pourvu que cela ne manifeste que d'être aimé ! Toute autre alternative eut été insensée ou eut conduit à la fragmentation. Je suis un, et pourtant multiple. Et l'autre est un mystère si beau à explorer : il me parle de moi, il me parle de ma différence. Il m'explicite tout autant qu'il m'accomplit. Il me révèle autant qu'il me construit.

Je ne suis pas un homme. Je crois que je suis un hybride. Quoiqu'il en soit, je me définis autrement. J'aurais bien des qualificatifs à ma disposition. Je suis humaniste. Je suis athée. Je suis idéaliste. Je suis gaucher contrarié. Je suis dyspraxique. Je suis kinesthésique. Je suis homosexuel. Je suis masochiste. Je suis un homme-félin. Je suis une galipote. La liste serait longue, si l'identité ne se composait que d'adjectifs. Mais, l'identité, c'est autre chose. Une somme de qualificatifs aussi longue soit-elle ne suffira jamais à faire une identité. J'ai modifié mon apparence pour qu'elle soit le plus conforme possible à mon original profond, autant que j'ai pu le cerner. Cela me restitue une identité certes plus que singulière au-dedans comme au-dehors. Mais l'essentiel n'est pas encore là. Ce que j'ai de commun avec les autres, mon humanité, la meilleure façon de le découvrir et de le comprendre, c'est au fil de mes liens avec ceux qui ont formé mon histoire et ouvert mon avenir.

Je n'ai pas toujours pu entretenir de relations avec les membres de ma famille du fait même de sa singularité à elle autant que la mienne, du fait des secrets, des non-dits, des drames, des querelles, des différences de valeurs et de cultures... J'ai eu bien souvent à les porter, seul, sans pouvoir les partager. Et le fardeau fut parfois bien lourd. Je fus le dépositaire des secrets. Il m'a fallu porter en plus de mes propres souffrances celles que m'ont déposées ceux que j'ai aimés pour soulager leur âme. Parfois, elles n'ont pas eu à être dites. J'ai en moi la sensibilité de ressentir les fragilités et les meurtrissures. Je n'ai pas toujours utilisé ce don à bon escient. Je le regrette. Il m'a parfois fallu me défendre par survie. Le félin domestique que je suis a pu être une proie. Il a alors dû intimider plus qu'il n'a voulu faire de mal.

Mais songeant au parcours de nos vies à chacun, Je médite et m'attriste. Que de temps avant de savoir qui l'on est ! Derrières nos mystères connus ou inconnus, tant d'horreurs, de violences, de souffrances, de crimes, d'adultères, de viols, et tant de leurs conséquences dont il faudrait déchirer le voile pour s'en sentir libéré. Et si en retracer le parcours était le chemin de ma réconciliation avec moi-même ? C'est ce livre-là que j'écrirai, et dans lequel j'emmènerai mon lecteur. Puisse la guérison de mes quelques blessures donner les clefs de la guérison de celles des autres, où vous faire simplement voyager dans le monde d'un enfant entouré de tant d'adultes dont les misères étaient encore à leur pic.

Ainsi s'ouvre le voyage dans mon monde intérieur traversé de drames et de sublimes beautés. La météo n'est jamais assurée mais elle participe aussi au beau. Passager nonchalant, prépare ton paquetage. Sois serein, je serai là, toujours bienveillant à tes côtés. Le périple a ses agréments, mais il a aussi ses épreuves, car le sublime ne s'atteint que par l'effort en gravissant la montagne, et au sommet, loin de la plaine, tant d'horizons devant soi, ou bien tant de navires pour parcourir des océans.


ACCUEIL EN MIROIR

Oh, mon touchant lecteur,
Aujourd'hui, je t'accueille.
Ecoute le rêveur,
Entre, franchis le seuil.

Au dehors sans splendeur,
Ma maison isolée,
Plus petite à l'intérieur,
Est aussi bien peuplée.
Dans cette humble demeure,
Je t'invite à entrer.
J'ai paré tes honneurs.
Avant ton arrivée.

Ne sois pas trop ému.
Ici, plus de fantômes.
La paix est revenue.
J'ai rebâti mon dôme.

J'ai refait ma masure
Elle était dévastée.
J'ai remonté ses murs
Pourtant vandalisés,
Créé  des ouvertures
Pour lumière retrouver.
J'ai refait les peintures,
Les plafonds et parquets.

Nous irons au jardin.
Nous prendrons le café,
Sentirons les parfums,
Flânerons, c'est l'été.

Mais, mon cher visiteur,
Je dois te prévenir.
Ton hôte eut ses malheurs.
Il eut durs souvenirs ;
Quelques sombres noirceurs,
Des secrets, des soupirs,
Des non-dits, des douleurs,
Pour ne pas dire le pire.

Que ton cœur ne vacille,
Je serai toujours là,
Rencontrant ma famille,
Tout le temps avec toi !

Mon lecteur, Mon ami,
Il est temps de savoir
D'où je viens, qui je suis.
Repoussant désespoir
Pour bâtir une vie
Je pose ma mémoire,
Dépouillant mes habits,
Faisant ma trajectoire,
Renaissant par défi.

La voilà toute nue,
La mienne identité,
Prudente, ingénue
Patiemment fabriquée.

À toi de la découvrir, je t'en lève le voile.

Neuf petits-fils de pute !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant