L'asile St Eunice, dans lequel je vivais depuis à présent quelques semaines qui m'avait paru durer une éternité, était un vieux bâtiment, ressemblant à s'y méprendre aux terrifiants hôpitaux de fous des années 40 -je n'aurais par ailleurs guère été surprise en découvrant que l'on y pratiquait encore la thérapie par électrochocs. Il était situé à plus de deux heures de Dallas, ma ville chérie.
Lorsque j'y étais arrivée, ce que j'avais pu apercevoir en premier était un édifice imposant, tout en bloc, et en très mauvais état. Même de l'extérieur, les murs en briques rougeâtres, paraissaient abimés, souillés par toutes les intempéries qu'ils avaient du traverser. Pour accéder à l'entrée sinistre, on devait traverser un parc entretenu par les bonnes soeurs qui nous soignaient. "Soigner" était en fait un grand mot ; elles nous donnaient de bons médicaments que très rarement, passant au contraire la majeure partie de leurs temps libres à nous hurler dessus, de leurs vieilles voix stridentes, à nous demander d'aller prier, ou à nous expliquer que nous étions des bons à riens que même Dieu n'avait plus envie de servir. Un jour, j'avais même entendu l'une d'elle menacer Ivy, une femme nymphomane, de la fouetter.
Si l'on continuait à marcher, dans le petit parc, on pouvait se rendre à une église sombre et vide, qui n'était utilisée que par les fous depuis des dizaines d'années.
Bref, ma vie là bas n'avait pas de sens. Je ne parlais plus, ne mangeais plus (et pourtant, Dieu sait que l'horrible bébé que je portais me donnait faim), ne dormais plus. Je restais juste les yeux grands ouverts, dans ma tenue sale d'hôpital, fixant un point quelconque. Même mes pensées n'avaient plus lieu d'être. J'étais vide de l'intérieur, et désespérément seule. J'aurais même préféré être morte. Je n'avais plus aucun avenir.
Je restais cloitrée dans ma chambre étroite, empestant le renfermé et la pisse, ayant continuellement l'impression que les murs allaient se refermer sur moi. En parlant de murs ; les miens avaient même été tailladés par des lames pour former des mots ("Le Diable arrivera","Nous sommes tous morts", ou même des révélations du style "J'ai tué la fille du réfectoire").
Je ne sortais pas, comme les autres patients, dans la salle polyvalente (dans laquelle étaient juste disposés des tables et des chaises en bois inconfortables), même si parfois, la directrice, une bonne sœur sévère, m'y obligeait cruellement. Mes seuls contacts étaient donc ceux avec Geneviève, une autre sœur-infirmière qui massait inutilement mon ventre rebondi et meurtri. Ce qu'elle ne savait pas, c'est que rien, rien, ne pouvait faire stopper cette douleur si tenace et insupportable.
Une fois, un radiologue spécialisé dans les grossesses était passé me voir. Il m'avait examiné avec un appareil transportable, et avait décrété que mon bébé avait dévoré son cordon ombilical. Pour le nourrir, nous procédions souvent par des injections ou des piqures en tout genre -mais la plupart du temps, l'enfant que je possédais préférait grignoter un bout de mon ventre.
Les seules fois où j'étais allée dans la salle polyvalente, j'avais pu apprendre quelques rumeurs circulant dans l'asile. Par exemple, un jeune garçon avait violé sa petite soeur de sept ans, avant de la noyer dans son propre bain. La nymphomane avait été envoyée ici à cause de son ex-mari, qui, fou de rage, l'avait battu et avait balancé à tout le monde son secret inavouable. Une mère avait décapité ses enfants. Mais rien ne valait mon histoire, à moi.
J'étais justement dans la salle, à regarder droit devant moi, comme à mon habitude. Les gens allaient et venaient devant moi, mais mon regard restait fixe. Je pensais à Bernard. J'aurais tellement voulu l'avoir tout près de moi, à mes côtés. Sentir son odeur familière. Me blottir dans son torse accueillant et chaud en toutes circonstances...
Je le retrouverais, coute que coute, et quel qu'en soit le prix.
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[TOME 2] Une petite jeune fille : Enfer sur terre.
Teen FictionAprès s'être longtemps fait persécuté par un monstre qui l'a mise enceinte, Adélaïde se fait interner dans un asile. Qui va t-elle y rencontrer ? Comment va t-elle y vivre sa grossesse ? Et, par dessus tout ; comment va t-elle s'en évader ?