Consignes de l'écriture d'invention : "Décrivez une belle femme, dans une situation (lieu, moment, action) donnée. Pas de portrait fixe. Servez-vous des éléments de culture mythologique abordés en cours pour enrichir la description. Dernier détail : un élément bizarre doit cristalliser sa beauté. Trente lignes minimum.
L'arbre était sans doute le plus ancien de la ville. Personne n'avait de quoi déterminer son âge précisément et l'on (les rares vivants qui s'en souciaient encore) lui donnait trois, peut-être quatre siècles, mais ce n'était là que vaines estimations. Il aurait fallu l'éventrer pour percer ce mystère ; personne n'en avait le cœur.
On construisit plutôt une fontaine qui s'adossait à l'écorce, la pressait, l'entourait, la cerclait, comme une muselière. Un grand artiste surmonta cette ode à la répétition perpétuelle d'une statue, taillée un peu abruptement. Elle figurait le sage Tirésias, les plaies de ses yeux bandées, qui s'avançait (mais figé), guidé par un enfant. Aveugle, dit la légende, il voyait l'avenir, savait lire les noirs destins des mortels. Mais qui se souciait encore de toutes ces histoires ?
Un parc se répandait aux alentours de ce tronc imposant, tortueux, au houppier titanesque, et ces pelouses, ces chemins plus ou moins sinueux, ces bancs... tout cela s'animait sur les premières heures de cette chaude après-midi. Les badauds déambulaient, poussant parfois poussettes ou mini-tracteurs. Il y avait sur les visages des traits pensifs, fermés ou déformés par un rire. Il y avait des regards vifs et d'autres, plus éteints. Certains profitaient du gazon pour s'étendre, se plonger dans un livre ou partager un morceau de soleil entre amis. Quelques conversations s'échauffaient, les enfants piaillaient, deux trois amoureux murmurèrent. Doux clapotis de voix qui se faisait, par moment, fracas.
Au milieu de cette vibrante agitation, passait une jeune femme, le sac en bandouillère lesté de quelques livres. Son pas était serein, ce parc, c'était pour elle un léger détour, un instant de respiration avant qu'elle ne s'enfouisse dans le creux des étagères de la bibliothèque. Quatre heures d'étude un peu sinistre l'attendaient.
Elle inspira profondément, profitait elle aussi, de ce répit. Sa longue chevelure brune souleva quelques têtes, dans l'assistance, oscillait dans sa démarche... avait quelque chose d'un peu sauvage, mal peignée qu'elle semblait être. Mais c'était moins par négligence que par réticence. Elle aimait sa toison d'amazone au parfum de futaie.
Ses traits avaient la finesse d'une lame, son regard : deux balles de revolver. Elle le promenait, perçant, sur les pelouses environnantes qu'elle arrosait d'une paisible violence, et ce regard croisait de temps à autre quelque œillade intriguée. La jeune femme attira l'attention de plusieurs mâles ; sa silhouette, peut-être - il leur en faut si peu - et certains trouvaient l'audace de s'approcher, la cervelle pleine de phrases fabriquées. Pourtant, arrivés à quelques mètres de leur proie, ils se figeaient tous systématiquement, agités d'un frisson d'horreur, horripilant. Puis ils s'éloignaient de l'air le plus naturel possible, cherchant à dissimuler leur trouble.
Du coin de l'œil, elle suivait leur manège et souriait, imperceptiblement, de ses lèvres de fruit, défendu. Elle passait ; sa chemise légère se gonflait dans la brise, comme une voile, et sa jupe voletait, noir pavillon.
Lorsqu'elle parvint à la fontaine, elle ralentit, comme chaque fois. L'arbre la remuait, et cette statue lui procurait, chaque fois, le soupçon d'une tristesse qu'elle ne comprenait pas. Elle s'arrêta une seconde, longea des yeux cette peau taillée.
- Tirésias, murmura-t-elle.
Sa voix avaient des accents de rochers, érodés par les cris.
- Eh mais c'est dégueulasse !...
L'amazone tourna lentement la tête vers celui qui s'était exclamé, assis nonchalamment sur le rebord de la fontaine, et qui changea brusquement de figure lorsque la brune le mit en joue.
- Non, mais j'veux pas te vexer, mais j'veux dire, c'est pas hygiénique...
- Tu t'enfonces, blondinet. Sache que si : mon poil assure une multitude de fonctions physiologiques essentielles, sinon mon corps ne prendrait pas la peine de le faire pousser. Astucieux, non ?
- Mais...
- Si c'est l'esthétique qui te chamboule, sache que tes goûts, je m'en tamponne. Personnellement, je ne résiste pas à la fougue de mon pelage soyeux. Et puis, après tout, ce sont mes jambes, non ? Mes jambes, mes règles.
- Mais...
- Si tu as envie de continuer à parler, merci d'attendre que je ne sois plus à portée de ta voix.
Voix fouet, qui cloua l'imprudent. Elle jeta un dernier regard, un dernier sourire, à l'aveugle de pierre, et s'en alla, poil au vent.
11 oct. 2015
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Travaux scolaires
HumorTitre accrocheur, hein ? Quitte à avoir un prof écrivain, autant qu'il partage un peu ce qu'il sait faire. C'est ce que je me suis dit. Voici divers sujets que je leur propose, comme correction par exemple, ou simplement partage. Ce sera au fil de m...