Derrière la porte

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  Derrière la porte, il y a mon cœur qui bat pour toi.
C'est exactement comme ça que je veux que mon histoire commence. En t'expliquant mes sentiments. En te parlant un peu de ma vie.
Tu m'aurais ouvert bien sûr. Dans mon histoire, tu m'aurais ouvert la porte. Ça, je peux le décider. Il suffirait de l'écrire et ça marcherait.
Et puis je t'aurais tout avoué, de cette passion qui me dévore du matin au soir. De cette jalousie qui m'anéantit quand il passe te voir.
Je t'aurais parlé de l'instant où l'interphone retentit chez toi et que je sursaute derrière le mur fragile qui nous sépare. Quand j'entends ses pas dans l'escalier et que je voudrais qu'il s'écrase quatre étages plus bas. Qu'il meure sur le champ, terrassé par une crise cardiaque ou poussé par une main criminelle, pourvu qu'il crève, ce bâtard ! Ça aussi, je l'aurais écrit.

Tout à l'heure, tu lui as ouvert, à lui. Il a sonné et tu l'as fait monter, si facilement.
Il avait le sourire du gars qui vient de gagner. Je l'ai observé dans le judas. Il m'a toisé une fois devant ma porte, sûr qu'il se fout de ma gueule. Il me le payera.
Je me demande vraiment ce que tu lui trouves. Il n'est même pas beau. Bien sûr, je ne suis pas objectif mais un homme jaloux ne peut pas l'être.
— Ça va ? l'ai-je entendu dire en entrant.
Et puis il y a eu ce mini silence. Pire que tout. Pendant lequel j'ai imaginé ses lèvres s'écrasant sur les tiennes comme une limace sur une fleur.
Tu lui as servi un verre. J'ai entendu ton vieux frigo couiner et le bruit des glaçons dans l'évier.
Ça me rend dingue de te savoir seule avec lui, Laura. Ma Laura. Ne recommence pas tes vilaines choses comme la dernière fois ou tu vas m'achever.
Je n'ai pas compris. Il est reparti au bout de quelques minutes. Il a dû sentir toute la haine suintante de l'autre côté du mur. Tout d'un coup, tous les muscles de mon corps se sont relâchés.
Et j'ai recommencé à respirer.
Tu as allumé la musique, à fond comme toujours et tu t'es mise à chanter. Tu vois bien que tu n'as pas besoin de lui pour être heureuse. Je suis là, moi. Je t'écoute, je partage ta musique. Tu chantes faux mais j'aime sincèrement ta voix. Je prendrai bien ce prétexte pour te demander de baisser le son et pour venir te voir. D'ailleurs, je vais le faire.
Tu n'as pas ouvert. J'ai tapé trois fois à ta porte. Tu n'as pas ouvert Laura.
Ben quoi, tu pensais que j'allais te prendre la tête avec le bruit ? Même pas. Je t'aurai demandé ce que tu écoutes en espérant que tu me fasses entrer. Qu'on discute un peu. Et puis, à un moment je t'aurai tout avoué, tu sais bien, de cette passion qui me dévore du matin au soir.

Ce matin, je t'ai croisée dans le hall d'entrée. En réalité, je suis resté dans ce foutu hall une heure à espérer te croiser. Tu avais mis ta petite robe noire, celle qui te rend sérieuse quand tu portes tes lunettes. Moi, j'avais mon sac de photographe sur l'épaule, un pantalon à pince et une veste militaire. Ça fait un peu cliché mais ça a marché. Ton regard s'est posé sur moi quelques instants, là où il ne s'était jamais posé. Je suis bien obligé de t'impressionner un peu, les femmes comme toi ne regardent pas les types comme moi. Ces gars fades, ni beaux ni laids, n'ayant rien d'autre à proposer que leur incommensurable amour.
J'ai joué l'homme pressé. Celui qui est attendu pour une mission ultra confidentielle en plein cœur de Paris. Tu m'as souri, c'était comme si un orgasme envahissait mon corps.
J'aurai voulu te suivre jusqu'à ton collège, surveiller que tes élèves ne te manquent pas de respect.
Mais le collège attendra. Je suis tranquillement remonté chez toi, enfin chez nous.
Dans mon appartement, il y a cette porte qui communique entre nous. Cela fait un mois que j'ai emménagé à côté et j'ai bien compris qu'il y avait une clé de trop sur mon trousseau. Officiellement, cette porte est condamnée mais moi je sais bien que non. Car j'entre et sors à ma guise presque tous les jours dans notre home sweet home.
Je fouille ton courrier, j'adore ça. Parfois, j'ai presque envie de l'ouvrir avant toi, pressé d'avoir des nouvelles de tes amis, de connaître les super promos que tu ne rateras pas ou encore les factures qui vont te faire râler.
C'est bon de partager ta vie Laura.
Je te pique un peu de nourriture entamée dans ton frigo, juste pour voir si tu remarques mes venues. Ensuite, j'ouvre ton armoire et j'observe tes vêtements. L'autre jour, j'ai balancé ce chemisier blanc complètement transparent, tu te fous de moi ou quoi ?
Et puis, ce que j'aime par-dessus tout, c'est entrer dans ton lit. Il est encore chaud de ton sommeil. Je me glisse dans tes draps et je nous imagine faisant l'amour passionnément un prochain jour. Je fais très attention de ne pas salir.
Je pourrais rester des heures dans ton intimité mais je dois moi aussi me mettre à travailler.
Installé derrière mon ordinateur, j'écris toute la journée. C'est mon métier d'écrire, ça aussi je te le dirai. C'est tellement facile, on peut écrire ce qu'on veut, ce qu'on souhaite. Et moi, c'est toi que je veux Laura.

Ma parole, tu sonnes à ma porte ? Non je ne rêve pas. Tu es là, juste derrière. Il est 18 heures.
Je m'étais un peu assoupi sur mon clavier. Oh mon amour, ta fine silhouette dans le judas me rend tout drôle. J'ai les mains moites. Tu as l'air impatient. Deux secondes, j'enfile juste mes vêtements de ce matin. Ça va te plaire.
Je fais mine d'être occupé en ouvrant, je te regarde à moitié, même si cette moitié te dévore.
— Bonjour, me lances-tu.
Tu baisses les yeux, embarrassée.

Tu n'as plus d'électricité. Flatté, je te propose mon aide.
— Ma foi... oui..., moi j'en ai.
Tu vois bien que je suis en train d'écrire, de t'écrire même.
— Je peux jeter un œil sur votre boîtier derrière votre porte d'entrée si vous voulez ?
Dis-moi oui.
— Prenez votre lampe torche sous votre évier puisque vous êtes dans le noir.
Dis oui Laura.
— Comment je sais qu'elle se trouve là ? Parce qu'elle est vraiment rangée sous l'évier ? C'est fou, j'ai dit ça au hasard !
Fais le premier pas s'il te plaît.
Je te regarde hésiter, tu es belle quand tu es inquiète. Tu choisis de te débrouiller seule. Tu rentres chez nous sans moi.
Laura, pourquoi inventer de telle banalité pour venir me voir ? Je suis déjà à toi, tu devrais l'avoir compris.
Une autre fois, c'est toi qui me supplieras de venir.

C'est samedi que tu es rentrée avec lui tard dans la nuit ! Ne me mens pas, je vous ai entendu. Ton rire dans l'escalier, tu avais bu. Le salaud, il te saoule pour arriver dans ton lit !
J'ai enfoncé ma tête entre mes deux oreillers, je ne voulais pas entendre. Pourtant, j'ai entendu.
Ton rire, complètement décalé au milieu de la nuit. Et puis ta voix lui réclamant un verre.
Il t'a répondu qu'il avait mieux à t'offrir. Tu as ri encore plus fort, d'un rire cynique pour me faire mal. Et enfin, vos ébats, ton souffle saccadé se mêlant à son râle. Tandis que mon corps se déchire en deux. Une douleur fulgurante me serre la gorge, m'étrangle. Je n'arrive plus à respirer. Pourquoi tu me fais ça ?
Tout se trouble et je m'enfonce dans la nuit.

Je travaille chaque jour depuis que je suis ici. Ils me refusent tout, papier, stylo, ordinateur. Alors, mon roman, je l'écris dans ma tête. Minutieusement.
Ils affirment que je ne sortirais plus de cette chambre. Mais quand suis-je arrivé ?
Je me sens bizarre. Il y a des morceaux de ma vie que je n'arrive plus à mettre dans l'ordre.
Par exemple, je sais que je l'ai tué, l'Autre, celui que j'ai trouvé sur toi dans notre lit. Parce que c'est mentionné dans mon histoire. Mais à quel moment l'ai-je écrit ? Avant ou après être arrivé ici ?
De toute façon, qu'est-ce que ça change ?
Je l'avais pourtant prévenu de ne plus te toucher. Et toi, t'aurais pas dû recommencer tes vilaines choses cette nuit-là. J'ai pris la clé et je suis entré dans notre chambre, tout simplement. Il n'a pas vu le couteau s'enfoncer dans sa nuque.
Tu as poussé un cri d'horreur en me voyant. Ils disent que je t'ai tuée toi aussi. Je sais bien que c'est faux parce que ça, je ne l'ai jamais écrit. Ils veulent me rendre fou. Comme si fou d'amour n'était déjà pas assez !
Tu n'es pas morte. Je t'ai vu l'autre matin et puis le jour suivant. En fait, je te vois tous les jours. Tu as évité de croiser mon regard en déposant mon plateau mais j'ai su.
Tu étais intimidée par tout l'amour que je t'ai dévoilé l'autre nuit.
Je leur dissimule nos retrouvailles mais s'ils t'éloignent de moi, je te jure qu'ils me le payeront ces bâtards !
Tes cheveux sont soigneusement attachés et tu as peut être un peu grossi. Au fait, avais-tu des yeux aussi clairs ? Je ne m'en souviens pas.
Je t'observe.
Un timide sourire, un battement de paupière irrégulier, une minuscule veine gonflée dans ton cou. N'importe quel signe que tu voudras bien m'envoyer.


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⏰ Dernière mise à jour : Oct 13, 2015 ⏰

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