Russian Roulette

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« Calme toi, respire, vanya*. Ce n'est qu'un jeu après tout... » Sa voix grave raisonne comme un coup de tonnerre dans la petite pièce sombre. Dans un sens, il avait raison, tout cela n'était qu'un simple jeu. Un perfide et mortel, dédié uniquement à son amusement malsain et pervers. Comment en étais-je arrivée là ? Comment avais-je pu me laisser berner aussi facilement?

J'ai rencontré Nikolaï Barginsky, quand mon dealer habituel s'était fait arrêté. Au premier abord, il était parfait : des cheveux d'un blond presque blanc, une voix grave et chaude, teintée d'un léger accent russe et des yeux d'un lilas si rare, si profond que je ne pouvais détourner mon regard du sien. Il était comme la drogue qu'il vendait : addictif et, je ne le su que plus tard malheureusement, dangereux. Mais je l'aimais. Je l'aimais de cet amour fou qui pardonne tout, qui accepte toutes les douleurs et les trahisons. Je l'aimais au point de ne plus savoir qui de la drogue ou de l'homme me gardait prisonnière de cette cage aux barreaux dont le vernis s'effritait un peu plus chaque jour.

Si seulement j'avais fui. Si seulement j'avais découvert ce côté de lui, cette face secrète, cachée derrière son masque de douceur omniprésent, je ne serai pas là aujourd'hui, les mains moites et tremblantes contre le pistolet, je ne retiendrai pas des larmes de peur et de chagrin en observant le visage toujours aussi calme de celui que j'aimais, que je ne peux cesser d'aimer, souriant de ce même air enfantin qui lui était propre. Dire que cet air bonne enfant me terrifiait aujourd'hui....Si j'avais fui plus tôt, je n'aurai pas accepté, abrutie par son sourire et son air angélique, de jouer avec lui quand il me chuchota, ses larges mains sur mes épaules, le nom de son petit jeu de hasard favori.

Et tandis que mon regard se perdait dans le violet du sien, une effroyable pensée me traversa l'esprit, glaçant mon sang dans mes veines. Il avait l'air serein, trop serein, comme s'il jouait à cela tous les jours, et si c'était le cas, le fait qu'il foule encore la terre des vivants de ses pieds ne pouvait signifier qu'une seule et unique chose : il n'avait jamais perdu. Jamais. Mon souffle se coupa, sous le poids de ma découverte et alors que je tentais en vain d'empêcher la panique de me gagner plus qu'elle ne l'avait déjà fait, Nikolaï souriait de cet air d'innocence presque moqueuse, sadiquement amusé par la peur qui déformait peu à peu mes traits.

Il devait sûrement être capable de voir mon cœur tambourinant si violemment contre ma cage thoracique, qu'il menaçait de sortir de ma poitrine. « Je suis terrifiée, Nikolaï... » J'avais répété cette phrase encore et encore, des dizaines de fois, pourtant, j'étais encore là, l'arme entre les mains. Etait-ce du courage ? Non. La conviction que c'était le seul moyen de racheter ne serait-ce qu'en partie ma dignité souillée ? Peut-être, oui. De la peur médusante ? Très probablement. La preuve que je ne pouvais échapper à cet homme même lorsqu'il me menait, par la main (cette main si chaude et rassurante), à l'échafaud ? Bingo. J'approchais avec crainte l'arme de ma tempe, manquant de la faire tomber à cause des tremblements de mes mains.

« Vas-y, c'est facile crois-moi. Compte jusqu'à trois et presse la détente. » Des larmes, que je ne voulais absolument pas laisser couler, me montèrent aux yeux alors que ma pauvre main, comme une feuille dans le vent de novembre, tentait en vain de garder le métal froid du canon fermement contre ma tempe. « Ferme les yeux, parfois ça aide. » Qu'est ce qui me faisait le plus mal ? Savoir qu'il me conduisait ainsi à ma très probable mort ou le fait de pouvoir encore trouver du réconfort dans cette voix damnée. Je revoyais ma vie défiler devant mes yeux dans un flash comme dans un mauvais film, je plongeais alors mon regard humide dans le sien emplie de cette cruauté enfantine, celle qui ignore le mal qu'elle cause. « 1... » Laissant le russe sourire, mes pensées dérivèrent vers toutes les personnes à qui je ne pourrai probablement jamais dire au revoir, ma famille, mes amis, la vieille voisine du dessous, le concierge, le chien de ma belle-sœur...ma gorge se noua à l'idée que je ne reverrai peut être plus le soleil se lever après cette nuit fatidique. Pourquoi moi? Pourquoi étais-je si faible? Une petite voix, au fond de mon crâne m'assaillais de questions, des questions qui avaient toutes la même réponse: A cause de lui. J'avais tout perdu à cause de lui, j'étais ici à cause de lui, j'allais mourir à cause de lui. Et le pire? Je n'arrivais pas à le détester. Je voulais le haïr, me lever et courir loin de cette pièce qui semblait rapetisser à chaque seconde mais j'en étais incapable. Incapable de cesser de l'aimer malgré tout, alors c'est moi même que je me suis mise à détester. Je méprisais ma faiblesse, je haïssais mon amour. Mais je ne voulais toujours pas mourir. Pas ici, pas comme ça.

Nikolaï continuait de me regarder en silence, un sourire malsain étirant ses lèvres et je me rendis finalement compte qu'il était trop tard pour penser à la valeur de ma vie car quand il était entré dans ma vie, j'avais vendu mon âme au diable et je devais en payer le prix. Je repris le compte à rebours. « 1... » Je me demande ce que je ferai si j'étais celle à rester en vie, comment vivrai-je sans lui ? Comment avais-je réussi à vivre avec lui ? Deux questions si différentes et pourtant si semblables. « 2... » Les larmes que je retenais finirent par couler silencieusement sur mes joues, emportant mon mascara dans de minuscules ruisseaux noirs. « Je t'aime. » murmurai-je, la voix brisée. Je n'en pouvais plus, j'avais besoin de le dire une dernière fois. « Je sais. » Pas de «moi aussi ». Il le savait, c'est tout, ni plus ni moins. Je souris dans mon chagrin, au moins j'avais eu raison de penser mon amour à sens unique. Je n'avais été qu'une marionnette entre ses doigts pâles. « 3... » Mon regard s'encra dans le sien. BANG ! La belle couleur lilas des ses yeux fut la dernière chose que j'ai vue, avant que mon corps tombe en avant sur la table, le sang coulant tel un océan naissant, écarlate et ocre, presque noir par endroit, sur la table.

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*Vanya est un terme affectif russe

Donc voici ma première nouvelle (*évite les tomates*), j'en posterai une autre d'ici deux à trois jours pour compenser la longueur de ce OS. J'attends vos avis et vos critiques !


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⏰ Dernière mise à jour : Oct 15, 2015 ⏰

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