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Bon, je vais vous raconter la suite. J'ai du temps, nous avons trouvé un abri, et j'aurais été plutôt frustrée de ne pas savoir si j'avais été à votre place.

Je m'était réveillée avec un affreux mal de tête. J'avais ouvert les yeux, difficilement, ils me brûlaient. Je voulu me redresser, mais j'abandonnai après avoir senti une sorte de déchirement dans mon dos lorsque j'ai tenté de bouger.

J'étais dans une grande tente couleur sable, plus une cabane en toile qu'une tente d'ailleurs, j'étais allongée sur un lit construit avec des palettes de bois comme sommier et quelques morceaux de couvertures blanches et sales en guise de drap, la veste en cuir noir de Bradley posée sur moi.

En tournant la tête à droite dans un effort herculéen, j'aperçus un petit garçon aux cheveux bleus et sûrement d'origine asiatique, 12 ans tout au plus, qui jouait avec une pierre de la même couleur que mes cheveux. Quand il vit que je m'étais réveillée, il s'en alla. Sans me laisser le temps de les appeler, Bradley et Zachariah se précipitèrent dans la tente.

« Tu vas bien ?

-Tu as mal ?

-Tu te sens comment ?

-La tête qui tourne, l'estomac qui remonte ?

-J'ai vraiment eu peur pour toi !

-Je me suis vraiment inquiété tu sais ! »

Un flot de paroles inquiètes s'échappait de leurs lèvres, ils restaient pourtant à une certaine distance de mon lit, de moi.

« Ça va, vous me donnez mal à la tête à force de parler. Qu'est-ce qui s'est passé ?

-Ils ont assisté à un grand barbecue improvisé, ma belle, dit une voix que je ne connaissais que trop bien. »

Mandrion venait d'entrer, un sourire scotché aux lèvres, et il s'avançait vers moi.

Pardonnez moi, j'avais oublié de préciser qu'il était resté au village de Bintou.

Oubliant la douleur qui engourdissait tous mes membres, je me précipitais dans les bras de mon guide et le serrait fort contre moi. Il rit et me souleva de terre, me rendant mon étreinte.

« Bah vous voyez les gars, elle brûle pas la p'tite ! dit-il en souriant aux garçons, en avançant vers eux, qui reculèrent aussitôt.

-Si quelqu'un voulait bien m'expliquer, ça serait vraiment cool, hein, ajoutai-je en lâchant Mandrion qui me reposa au sol.

-Ils te prennent juste pour une torche humaine, petit soleil. »

Je ne comprenais toujours pas, ça m'agaçait que Mandrion ne m'explique pas plus et qu'il passe son temps à me donner de nouveaux surnoms, bien que j'y étais habituée.

En regardant Bradley et Zachariah, je vis qu'ils baissaient la tête, d'un air légèrement honteux. Grâce à Mandrion, je pus les faire parler ; il voulait que ce soit eux qui m'expliquent pourquoi ils reculaient quand je m'approchais d'eux. D'après leurs explications, lorsque j'avais été frappée à la tête à coup de crosse de fusil et que j'étais tombée, inconsciente, mes mains s'étaient mises à flamber seules et avaient dirigé leurs flammes vers la femme et l'homme de la station service, qui avaient été réduits en cendres en moins de temps qu'il ne fallait à Sariane pour prononcer le mot anticonstitutionnellement. Il leur paraissait donc logique que j'aurais pu les brûler dans mon sommeil ou à mon réveil sans y prendre garde.

« Hm, sauf qu'aux dernières nouvelles, vous n'avez pas essayé de me tuer en tentant de me fracasser le crâne, si ? »

Après maintes et maintes excuses -inutiles, je ne pouvais pas leur en vouloir pour ça- nous sortîmes, Mandrion le premier, accueillis par une foule de regards curieux qui essayaient de voir et d'entendre à travers la toile de tente, et qui se dispersèrent en courant dès que la tête de mon guide fut à l'air libre. Je me dirigeai à grands pas vers la tente principale, celle de Bintou, lorsque Sariane poussa un cri :

« Elle saigne ! Bradley, elle saigne ! »

Mes quatre amis se précipitèrent vers moi, et Sariane souleva le dos mon débardeur.

« Les points de suture ont lâchés, mais ça va Blondie, t'affoles pas, assura Mandrion, toi, retourne dans la tente, ajouta-t-il en se tournant vers moi. »

Je fis ce qu'il me demandait et une fois à l'intérieur, je dû m'allonger à plat ventre sur le lit. Mandri sortit d'un sac du désinfectant, du fil et une aiguille, qui d'après moi n'étaient pas du tout fait pour la médecine.

« Je pense que ça sera moins simple que quand t'étais dans les vapes. On n'a pas d'anesthésiant. Et étant donné que les points n'ont pas tenus du tout, j'vais devoir t'en faire plus, enfin repasser aux endroits enfin, t'as compris. »

J'ai hoché la tête. Mandrion nous avait toujours prévenus de ce que nous risquions en toutes circonstances, clairement ou pas.

Je n'ai pas spécialement peur des aiguilles, mais, essayez vous aussi de rester immobiles quand on vous transperce le dos pendant vingt minutes. Sans comptez mes réflexes, que ce soit mes jambes, mes bras, mes mains qui chauffaient dangereusement, ou mes ailes qui frappaient contre ma peau en essayant de sortir.

« C'est fini. Ils devraient tenir cette fois...pas de mouvements brusques.

-Y'a plutôt intérêt. »

Après l'intervention, si je peux dire, je me dirigeai de nouveau vers la tente de Bintou. Elle n'était pas à l'intérieur, et un des enfants m'a apprit qu'elle était partie chasser avec quelques uns de ses hommes. J'avais donc été m'asseoir sur un des troncs de la place, le dos droit, et me passai une main dans les cheveux. Je tournai la tête et aperçus le petit asiatique aux cheveux bleus de tout à l'heure en train de me fixer. Mandrion m'avait dit qu'il avait été chargé de me surveiller, il devait sortir de la tente uniquement si je m'étais réveillée. Il tenait une petite statuette bleue dans ses mains. Je lui souris, et il vint s'asseoir sur le tronc adjacent au mien.

« Je m'appelle Joe. Je peux t'appeler сочувствие ?

-Si tu veux, Joe. Tu parles russe ?

-Non. Mais j'entendais souvent ma mère le dire à sa meilleure amie.

-Où est ta mère ?

-Elle est partie chasser.

-Oh, beaucoup de femmes chassent avec Bintou ?

-Non, seulement ma maman, mais elle n'y a été qu'une fois. Il y a dix carrés barrés en leur centre qu'elle est partie, ma maman. C'est écrit sur le carnet de papa. »

Je m'étais mordue la lèvre pour ne pas le prendre dans mes bras et lui dire que j'étais désolée. Les carrés, c'était un moyen de compter. C'est ce qu'ils avaient fait lors des votes des villages, appelés troupes par les autres. Chaque villageois avait élu un représentant de troupe, et les votes étaient comptés de cette façon. Les carrés sur le carnet du père devaient représenter le nombre de jours depuis que la mère était partie, décédée ou disparue je suppose, ce qui faisait en tout cinquante jours.

« Elle était partie chasser, donc ?

-Oui. Mais elle est pas partie en même temps que les autres, maman. Elle est partie après. Je pense qu'elle veut nous faire une surprise, elle va revenir avec tout plein de nourriture, c'est pour ça qu'elle est partie longtemps. Moi je pense qu'elle va revenir avec tout plein de nourriture bientôt.

-Je...hm...c'est ta mère qui t'a teint les cheveux ?

-Non. Elle les a comme ça aussi maman. C'est gé-né-tique, elle dit ! »

Effectivement, je n'avais vu aucune femme avec les cheveux bleus dans le village. Elle avait donc vraiment disparue.

« Bon. Dis moi, Joe, qu'est-ce que tu tiens dans les mains ?

-Oh, oui, oui, s'écria-t-il, c'est pour toi ! сочувствие, c'est pour toi ! Je te la confie, pour que tu la donne à maman quand tu la croiseras dans tes voyages ! Dis lui que c'est moi qui l'ai faite, parce que c'est moi qui l'ai faite, tu sais, avec le couteau de papa ! »

Il paraissait tellement sûr que j'allais retrouver sa mère...

Alors je pris la statuette, et je pris Joe dans mes bras. Je posai ma tête sur la sienne et je fermai les yeux, la statuette dans la main. Et je me promis de retrouver la mère de cet enfant.



Je suis qui je saisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant