Zorgan se posa sur la place centrale de la capitale un peu avant midi pour déverser une horde de mille cinq cents humanidés armés et prêts à en découdre avec leurs anciens maîtres. Le temps du châtiment venait d'arriver pour les ramiens : Numer-lêq et lui préparaient leur armée depuis près de cinq ans et il observa avec une grande satisfaction la fureur avec laquelle leurs soldats se lancèrent à l'assaut de la ville. Déployés par groupe de dix, ils partaient traquer les membres des forces de l'ordre ou quiconque portant une arme. D'ici la fin de la journée, la vaste majorité de la population ramienne serait sous leur contrôle. Ils inversaient enfin les rôles.
Après quelques minutes, le stratège quitta la ville pour aller rejoindre Numer-lêq. Ce dernier avait remporté son audacieux pari en s'emparant du palais avec moins de deux cents guerriers. Les renforts allaient permettre de sécuriser le périmètre et commencer à transférer les prisonniers. Zorgan se posa sur la piste, tout près du mur éventré et encore fumant, où son plus fidèle allié avait lancé son offensive quelques heures plus tôt. Numer-lêq l'attendait et les deux amis se regardèrent, ravis, sans prononcer un seul mot. Même s'ils savaient que le plus dur se trouvait encore devant eux, ils éprouvaient une fierté immense d'avoir accompli cet exploit, impensable quelques années plus tôt.
Numer-lêq rompit le silence et en entraînant Zorgan à l'intérieur du palais, il dit :
« Le bunker est déverrouillé et on tient la gouverneure à l'étage. On pense que le lieutenant s'est envolé vers le transporteur ; je n'ai pas encore appelé là-haut pour savoir comment ils s'en sortent.
- Tu devrais, je suis certain que Sam s'en sort très bien.
- Sam ? répéta Numer-lêq, incrédule. Je croyais que tu l'envoyais à Nidja.
- Changement de plan. Il est monté avec Hachel. Ils s'en sortiront. Bon, il est temps de voir si nous pourrons convaincre la gouverneure de partager ses secrets avec nous. » Les deux complices passèrent par le premier étage pour aller chercher leur précieuse captive, qui s'était rendue sans offrir de résistance quand la nouvelle de la destruction de ses deux convois militaires avait été confirmée. Ils allaient devoir obtenir d'elle ses codes de sécurité pour être en mesure de s'approprier l'ensemble des systèmes de commandement sur Karajou.
Ils rejoignirent la salle qui servait de cellule à la gouverneure tout en discutant des prochaines étapes. Le gardien leur ouvrit la porte coulissante pour les laisser passer. Contre toute attente, le chef et son stratège se retrouvèrent face à deux ramiens en tenue de combat. Numer-lêq détailla la scène en une fraction de seconde : un soldat, penché sur la gouverneure, s'apprêtait à défaire ses liens tandis qu'un second se tenait debout, une arme à la main, pointée vers eux. Une trappe d'aération pendait, ouverte, au plafond.
Le ramien tira. D'instinct, Numer-lêq repoussa Zorgan de toutes ses forces dans le corridor. Le coup de feu alerta la dizaine de combattants à proximité et comme un raz-de-marée, ceux-ci s'engouffrèrent dans la cellule de leur prisonnière pour porter secours à leur chef, sans se soucier de ce qui les attendait dans la pièce. Les deux ramiens ne purent s'opposer à ce déferlement et ils tombèrent sous le feu nourri des humanidés. Protégée par un de ses soldats, la gouverneure survécut par miracle à l'échauffourée.
Numer-lêq gisait, inconscient, dans l'embrasure de la porte. On le transporta en catastrophe à l'infirmerie de fortune au rez-de-chaussée. Ce fut Iana qui le reçut :
« Papa ! » s'exclama-t-elle en l'apercevant. La nouvelle se propagea comme s'enflamme une traînée de poudre. Afsheen accourut au chevet du blessé et en le voyant sur la civière, il laissa échapper un cri de colère qui secoua tout le monde dans la salle. Le jeune homme dévisagea ensuite Zorgan, conscient que son père risquait de mourir pour avoir sauvé la vie du stratège. Ce dernier aussi savait qu'il aurait dû se retrouver sur le brancard à la place de son ami.
Pour la première fois, Zorgan baissa les yeux devant le jeune homme. Il comprenait sa douleur ; il aurait voulu lui dire qu'il ressentait la même souffrance. Il ne trouva pas les mots justes et ce fut Iana qui parla la première :
« Il faut prévenir Sam, » dit-elle. La jeune fille se montra la plus forte des trois, alors qu'Afsheen demeurait immobile, fixant d'un regard haineux le bras droit de son père. Elle alla se planter devant son frère et en le saisissant par les épaules, elle le força à la regarder :
« Sam, dit-elle à nouveau. Trouve-le ! » Elle repoussa le jeune homme pour le forcer à bouger et ce dernier finit par obtempérer; il quitta la pièce. Elle se tourna ensuite vers Zorgan :
« Il ne faut pas rester ici à ne rien faire. Je vais m'occuper de mon père. Occupe-toi des troupes, allez !»
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Les gondoliers 1: La chute des Safalyne
Ficção CientíficaKarajou, une colonie perdue aux confins d'un empire moribond. Sur cette mystérieuse planète, un décès aux apparences des plus banales précipitera la chute d'une dynastie millénaire... Rien n'indique pourtant l'imminence de l'effondrement lorsqu'un i...