En ce moment je passe beaucoup de temps sur cette terrasse, le visage levé vers le ciel. Et je passe des heures enfilant cigarette sur cigarette. Il fait très froid mais j'ai toujours cette imagination débordante et rien que de te sentir près de moi, quelque part, ça me rassure et me laisse imaginer mon avenir. Je serai assise là au coin du feu, oui j'aurai une grande cheminé, aussi haute que cette table. Je caresserai les cheveux de mon garçon, non plutôt de ma fille. Ses longs et doux cheveux blonds. Je lui chuchoterait une ou deux histoires puis je la mettrai au lit. Je me plaindrai de mon travail si ennuyant et si dur au moins deux, voir trois fois par jour. Je prévoirai des vacances pour dans 3 ans, le temps qu'on économise, lui et moi. J'écrirais la liste des courses minutieusement au début, puis je finirai par me lasser et j'oublierai le beurre, ou bien les oeufs. Chaque matin jusqu'au bout de cette vie je serai heureuse. Ou plutôt je ferais semblant de l'être, d'être heureuse d'avoir une famille, un foyer, un travail. Je l'aimerai, ou plutôt non, je me sentirai obligée de l'aimer. Par habitude. Simplement parce que l'on croira s'aimer, que l'on croira au bonheur comme deux enfants, qu'il croira que je l'aime comme je t'aime et t'aimerai toujours. Je me mettrai à boire du café, et à aimer en sentir l'odeur au réveil. Ou pas. Je ne m'habituerai jamais au café. Je fumerai, sûrement, parce que c'est si cool, même si ça pue, j'aurai l'impression d'être une personne cool, de te ressembler. Tu sais comme tous ces mannequins que j'admirai sur mes vieux magazines, une clope au coin des lèvres. Je serai une mère parfaite, une femme parfaite, j'adopterai un mode de vie parfait. Mais rien ne le sera, sans toi, rien ne le sera plus jamais. Je n'ai pas envie de réaliser un avenir sans toi. Cette histoire fait de moi les dernières lignes de ce mauvais roman, les dernières gouttes d'une bouteille d'eau que personne ne boira jamais, le fond d'un pot de mayonnaise, inutile. Car tous me parait vide sans toi, tout me parait usé, terne et sans vie. Ca ne pouvait être que toi, seulement toi. Et ça ne pourra jamais être toi. Lui et moi, ça sonne faux, beaucoup plus faux que toi et moi. Comme une impression que j'aurai beau te remplacer par qui je voudrai, je serai toujours aussi malheureuse de t'avoir perdu. Je ne pourrai jamais remplacer toutes ces soirées à rire, à boire, à pleurer, à s'embrasser, à regarder des films, à penser à demain, alors qu'on aurait du penser à aujourd'hui. Le problème c'est qu'il y a toujours eu des limites, et ces limites tu les as franchis avec cet accident de voiture. J'aurai presque préféré que tu me trompes 20 fois, que tu me détestes, ça aurait été tellement plus facile. Parce que je ne sais pas si tu te rends compte de ce que tu laisse. Tant de visages qui se regardent et ne se regardent pas, qui se connaissent ou ne se connaissent pas, réunis autour d'un cercueil en ébène noir, qui ne savent plus quoi penser ni quoi faire de leur vie. Tu n'as pas pensé à tous ces gens qui ont jeté les uns après les autres une rose rouge, cette couleur que tu aimais tant, dans le trou dans lequel tu disparaissais, emportant avec toi toute ta vie, tes souvenirs, tes rêves d'avenir, et une partie de moi. La partie la plus importante de moi. Ta mère qui n'est plus que l'ombre d'elle même. Ton père, lui, ne vit plus que pour son travail et que je ne supporte plus de regarder car tu ressemblais tellement à cet homme... Je ne te reverrai plus jamais et j'ai tellement peur d'oublier tes traits de visages que je ne cesse de les reconstituer dans ma tête. Je regarde le ciel en quête d'un nuage te ressemblant. Un nuage comme pour me dire « Coucou je suis là, je suis heureux et je t'aime ». Tu es parti trop tôt. Des gens m'ont vaguement pris dans leurs bras me rassurant, me disant que ça passerait, mais ils ne savaient rien, ni à quel point je t'aimais, ni à quel point ça me déchirait, me détruisait, de t'enfouir six pieds sous terre. La vérité c'est que ça ne passera jamais. Ca sera comme un tatouage, gravé dans ma tête. Et seulement quand je deviendrais trop vieille pour m'en souvenir, je t'oublierai. Mes parents m'ont regardé trois secondes et demi, me balançant un « tu trouveras quelqu'un d'autre ». Je ne retrouverai jamais personne comme toi, qui rigole comme toi, qui raconte les blagues comme toi, qui court comme toi, qui fume comme toi, qui chatouille comme toi, qui chante comme toi, qui danse comme toi, qui a les même yeux rieurs que toi, qui sait comment s'appellent chaque fleurs d'un jardin, et chaque arbre d'une forêt, qui a ce si beau tatouage en forme de cerf dans le dos, qui m'aime pour qui je suis et pas pour ce que je suis, et qui est toi. Personne ne sera jamais toi et tout ne sera que pale copie à côté de ta peau brillante, de tes lèvres rouges, et de tes mains viriles. Le froid ne m'atteint plus tellement à l'intérieur c'est déjà vide et froid. Plein d'une froideur que même moi je ne pourrai jamais expliquer. La vérité c'est que tu m'as rendu heureuse. Si heureuse. Tellement heureuse. Et que maintenant je ne le serai plus. Jamais. Grâce à toi, à cause de toi.
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Ça ne pouvait être que toi
Short StoryQui n'a jamais pleuré devant le Titanic quand Rose doit abandonner Jack ? Qui n'a jamais éprouvé quelques frissons lorsque Roméo se suicide pour Juliette ? Et que Hazel fait son adieu à Augustus ? On a tous eu ce petit pincement au coeur, ce serreme...