Mon Vieux Paris

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Arthur sortit de l'auberge où il logeait depuis deux nuits et s'avança d'un pas hésitant sur les pavés couverts de givre. L'air était froid, il lui brûlait les lèvres et la langue alors que les hauts murs qui l'entouraient ne permettaient presque pas au vent d'y pénétrer.
Le sol était glissant, les murs gelés, et dans la pénombre de cet étroit couloir qui s'étendait devant lui, seuls les quelques becs de gaz faisaient vivre la nuit.

Comme un enfant, il titubait lentement entre les lignes de ce dédale inanimé. Il se sentait faible, étouffé, petit, mais agréablement angoissé; ses yeux glissaient sur le gel des façades de briques rouges, vieillies par le temps et l'humidité de l'hiver.
De la boue souillait le bas des murs, un mélange de terre, d'urine et de neige fondue sans doute; plus haut, des fenêtres exigües perçaient dans la laideur. Leurs volets de bois moisis prenaient des teintes verdâtres, un vert passé, mouillé et odorant. Arthur les contemplait avec ardeur et imaginait les voir s'ouvrir et éclairer un Paris grouillant d'enfants et de joie... Cependant la rue était si triste, si mystérieuse, que le jeune poète fût persuadé qu'elle eût l'âme d'une pauvre enfant arrachée de son sommeil par les griffes glacées de cette rude nuit d'hiver, dont les larmes innocentes ruisselaient encore sur les joues du Paris endormi.

Il avançait en rêvassant, il admirait l'insalubre beauté de la rue et s'arrêta devant un réverbère, éblouit par sa douce clarté jaunâtre. En son sommet, de la neige résistait encore depuis l'aubre précédente et dégoulinait, goutte par goutte, sur les parois floues de la lampe. Il vît l'air chaud s'échapper de sa bouche en un lourd nuage gris et s'évaporer dans le silence.
À quelques mètres de lui, un bruit vînt soudain rompre le calme de la nuit malsaine; un bruit de plats, de cuisines, suivi d'une douce vague de réconfort. Arthur perçut la source de l'activité nocturne par un soupirail ouvert qui donnait sur un homme qui ne dormait pas, lui non plus.
Il s'accroupit à bonne hauteur pour regarder le boulanger pétrir sa pâte enfarinée et sortir ses pains chauds et enflés du four. Il se plût à rêver d'en mordre la croûte savoureuse dont le parfum lui parvenait.

Arthur continua sa route dans une nouvelle rue à sa gauche.
Au plus loin qu'il pouvait y voir, la nuit dévorait la vie. Le sol était incurvé vers son milieu pour former une gouttière et l'eau clapotait sous ses pas réguliers. De chaque côté, des boutiques blanchies par le froid affichaient fièrement leurs enseignes usées. À l'intérieur d'une cordonnerie, Arthur aperçevait de la lumière. La pièce avait l'air chaude; elle était habillée de lourds rideaux de velours rouge qui contrastaient avec la pitoyable allure de la devanture de vieux bois rose imbibée d'eau où se nichaient des vitres embuées et sales.
Plus loin, une boutique visiblement abandonnée dormait dans le noir de sa poussière. Le jeune homme, appuyé contre une vitre essuyée du revers de son manteau troué par les mites, scrutait son contenu. Le peu que la lueur lointaine offrait à sa v
vue lui donnait la nausée : sur le sol nu, seul un cadavre de chat presque totalement dépourvu de sa chair faisait profiter des insectes et leurs larves.
Il perdit le courage d'observer chaque boutique et avença, bravant le froid qui irritait désormais sa gorge entière. Il sentit la chaleur d'une larme couler sur son visage, pourtant il souriait, charmé par la perversité de la capitale embrumée dans la nuit.

Mon Vieux ParisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant