Avant la onzième lettre

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Jersey était devant sa fenêtre. Elle regardait les flocons tombés les uns après les autres, avec un mince sourire sur les lèvres. C'était un de ces sourires enfantins mélangés avec un au nuance nostalgique et à un bonheur qui paraît limité alors qu'il était infini. Elle était calme, en paix, apaisée et son cœur battait normalement dans sa cage thoracique. Sa poitrine se soulevait doucement au même rythme et elle avait des étoiles dans les yeux, qui scintillaient plus et étaient en plus grand nombre que celles qui se trouvaient à présent dans le ciel.

Jersey pensait à la neige, aux anges, au ciel, aux nuages, aux étoiles mais elle ne pensait à aucune personne en particulier, à aucun humain qu'elle pourrait considérer comme étant un ange, à personne tout court. Elle ne pensait presque pas, c'était le vide total dans son esprit. Aucuns mots ne venaient, parce qu'il n'y avait rien à dire en réalité. Il n'y avait jamais rien eu à dire non plus. Le blanc et les flocons faisaient perdre la tête et les mots à la belle irlandaise. Elle passa sa main dans ses cheveux châtains et soupira doucement. Elle n'avait pas mal au cœur, pour une fois, mais elle sentait un vide en elle. Elle le savait mais la neige l'empêchait d'y penser, l'empêchait de se maudire encore et encore, l'empêchait de se détester, l'empêchait de se faire du mal, l'empêchait de se dévaloriser.

Jersey souffla sur la vitre et une buée se forma là où son haleine avait touché la glace en double vitrage. Elle contempla l'air qui s'évaporait petit à petit. Elle leva la main et avait son index droit, elle dessina un petit cœur sur ce qui restait encore de buée. Un sourire était présent sur ses lèvres alors qu'elle voyait son dessin s'effacé, petit à petit, et au fond d'elle-même, elle savait que cela avait une signification pour elle, que ça avait un lien avec elle, que ça cachait un sous-entendu. Parce que son cœur était comme celui qu'elle venait de faire et qui disparaissait à vue d'œil, il partait dans le néant.

Jersey n'avait plus de cœur, enfin si, elle avait toujours l'organe vital qu'on appelait un « cœur » logé dans sa poitrine mais, dans un autre sens, elle en était totalement dépourvue. Au sens imagé. Elle n'avait plus de cœur, il était mort, trucidé, volatilisé, disparu, explosé, en cendres, en miettes, en un milliard de morceaux, brisé, déchiqueté. Il n'en restait presque plus rien de son cœur, pas même de quoi le comparer à un grain de sable, ou encore, à un proton ou à un neutron dans le noyau d'un atome. Ce n'était même pas comparable à un putain de nucléon, alors son cœur pourra être comparable avec un maudit électron ?

Jersey laissa échapper un peu de son haleine pour redessiner encore son cœur. Elle avait de refaire ce geste, encore et encore, jusqu'à ce que son cœur reste à tout jamais dessiner sur sa fenêtre. Même si elle savait au fond d'elle-même que c'était techniquement impossible, que ce n'était pas possible scientifiquement, elle s'en foutait royalement parce que tout son espoir sur l'état imagée lamentable de son cœur reposait sur cet acte des plus anodins. C'était la façon qu'elle avait pour continuer d'espérer qu'un jour son cœur se réparera et reprendra une forme normale. Mais, tout comme le fait que le dessin de son cœur reste éternellement sur le carreaux, c'était techniquement impossible et scientifiquement improbable tellement que son cœur au sens imagé était détruit, mort, enterré, broyé, déchiqueté. Son cœur restera à jamais brisé, parce que certaines cicatrices sont faite pour rester, parce que certaines cicatrices restent à vie qu'on le veuille ou non.

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Musique ; Free - Rudimental ft. Emeli Sandé




Dear Niall//n.hOù les histoires vivent. Découvrez maintenant