Chapitre 4 : Mélissa, Ce soir on danse

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Ce soir, Félicité a visé très haut. Elle a accepté mon invitation à me payer une soirée dans un club de strip-tease mixte.

Bon, à vrai dire, je n'ai pas vraiment eu le choix. Sa meilleure amie, Cassandra, nymphomane confirmée, a décidé de fêter son enterrement de vie de mariée. Elle divorce de la pauvre victime qui lui avait passé la bague au doigt il y a six mois. Six mois avec Cassandra, ses bourses s'en souviendront. Cette fille est une véritable chaudière ambulante. Je crains le pire, ce soir. Sa cocotte-minute ne va pas cesser de siffler à la vue des corps dénudés.

J'ai mis environ une heure à me rendre présentable. J'ai bien dû essayer dix tenues différentes avant d'en choisir une. En même temps, comment voulez-vous que je m'habille dans un club d'effeuillage ? La petite robe ras le bonbon ? Sans façon, je ne postule pas à un entretien d'embauche. Le jean ? Trop décontracté, ils ne me laisseraient pas rentrer. Attendre sur le trottoir que ma cousine finisse de passer une bonne soirée pour me raccompagner serait le pompon. Autant porter la mini-jupe, dans ce cas, au moins je reviendrai avec du fric.

Finalement, j'ai opté pour un pantalon noir classique, des bottines en cuir et un chemisier rose pâle légèrement échancré afin que l'on puisse voir le magnifique collier ethnique que m'avait rapporté Félicité d'un de ses voyages en Afrique du Sud. En vérité, il est affreux, ce bijou, et très lourd de surcroît. J'ai l'impression d'être une femme girafe dont les cervicales rompront lorsque je le retirerai. Il est complètement hors sujet avec ma tenue vestimentaire, mais quand ma pintade de cousine me verra avec, elle me paiera tous les verres que je désire.

C'est un sacrifice de poids, mais il est moindre à l'égard du résultat. L'ivresse m'aidera à supporter les blagues salaces de Cassandra toute la soirée.

Elles sonnent à l'interphone à vingt et une heures. Je les entends rire à gorge déployée dans les escaliers. Si elles continuent leur raffut, ma voisine du rez-de-chaussée finira par se plaindre à la régie. Cette vieille acariâtre m'a dans le collimateur depuis que j'ai emménagé dans l'immeuble. Pourtant, la seule fois où j'ai organisé une soirée, ma crémaillère en l'occurrence, j'avais au préalable présenté mes excuses pour la gêne occasionnée.

La pendaison avait en effet quelque peu dégénéré, mais était-ce vraiment ma faute si ce type était descendu du troisième étage en sautant de balcon en balcon ?

Je les intercepte au deuxième étage avant qu'elles ne puissent s'incruster dans mon appartement. Je n'ai pas eu le temps de ranger, tout est en vrac dans mon salon. La chaussette sur le radiateur, la culotte sur la table : je suis une grande bordélique.

— Oh, Mélissa, quelle beauté, tu as fais un effort, ce soir, pour une fois !

Félicité ne manque jamais une occasion pour me rabaisser. Ses compliments ont toujours une face cachée moins sympathique. Me signifier ma beauté relative aurait suffi mais ma cousine ne peut s'empêcher de dire la vérité. Elle est loin d'être un ange et son franc parler se révèle en ma présence. Tester des hôtels branchés est un travail opiné. Félicité est exigeante, rien n'est assez beau pour elle.

— Merci Féli, toi aussi, comme toujours.

Si vous les voyiez, toutes les deux. Je connais assez bien ma cousine pour savoir qu'elle ne cherche pas à tromper son fiancé, mais sa tenue indécente risque de rameuter toute la population masculine.

Et Cassandra. Mon Dieu, Cassandra.

— Cassandra, le club de strip-tease a une coupure d'électricité, ce soir, ils t'ont demandé de les dépanner ?

Elle porte une robe moulante à paillettes tellement criarde qu'elle m'en brûlerait la rétine. Si elle n'était pas aussi jolie, je pourrais la confondre avec un travelo du bois de Boulogne.

— Tu es bête, Mélissa ! Ce soir je suis une lumière, tous les insectes vont être attirés par ma flamme, me répond-elle en tournant sur elle-même.

Elle est gentille, Cassandra. Elle ne se vexe jamais. Elle croit encore à l'amour après deux divorces à trente-deux ans. Je suis admirative de son optimisme inébranlable.

L'arrivée au club se fait tout en discrétion. Nous avons eu la chance de trouver une place de parking juste devant l'entrée. La couleur rose de la Barbiemobile de Cassandra et la voix de crécelle de Félicité et elle, exaltées par la façade lumineuse, attirent tous les regards.

Génial ! Il ne manquerait plus que le vrombissement d'un vuvuzela pour compléter mon humiliation.

Nous passons sans difficulté le tri des videurs à la porte. Il semblerait même qu'une fouille corporelle aurait été appréciée par notre amie Cassandra, qui se dandinait devant les vigiles. À moins que le jus de citron qu'elle n'arrête pas de boire pour éliminer ses toxines ne lui ait donné une subite envie d'uriner.

À l'intérieur, il fait une chaleur étouffante. Je regrette déjà le choix de mon pantalon, dont le tissu colle à ma cellulite. L'odeur du renfermé, alliée à la sueur des danseurs effrénés, me soulève le cœur.

Il y a autant d'hommes que de femmes qui s'agitent sur la piste. Autour d'eux, des professionnels se déshabillent sur des podiums individuels. On se croirait à une vente aux enchères avec la présentation des lots. Des lumières orange et rouges sont projetées sur leurs corps dénudés.

Félicité me prend par la main et m'entraîne au milieu de la foule, où elle commence à se trémousser sur la voix sensuelle de Shakira. À cet instant, j'ai l'impression d'être un phasme au milieu des branches. Je danse comme mon père, avec un balai où vous savez. J'essaie tant bien que mal de participer mais, sans un gramme d'alcool dans le sang, mon imitation de Beyoncé est vouée à l'échec.

J'ai l'impression que tout le monde se moque de moi. Je fais alors une inspection générale des alentours.

Pivotement facial à droite. Pivotement facial à gauche. Rien. Tout le monde m'ignore.

Petite pirouette au ralenti très naturelle pour voir ce qui se passe derrière.

Merde ! Non, j'ai dû planer. Ça ne peut pas être lui. Je continue de danser maladroitement.

Cassandra arrive à nos côtés avec les tant attendus breuvages. Malheureusement pour moi, elle nous a commandé des cocktails. Probablement des Sex on the beach : rien que pour le plaisir de le dire au serveur, elle les prend toujours.

Je suis de plus en plus mal à l'aise. Je me sens oppressée, épiée. Cassandra n'arrête pas de faire des clins d'œil énamourés à un type derrière moi. J'ai comme un mauvais pressentiment.

Lorsqu'elle remet une mèche de cheveux derrière son oreille, je comprends le signal muet qu'elle nous envoie. Depuis qu'on est toutes petites, nous nous sommes créé des codes.

Au départ, nous parlions la langue du feu, jusqu'au jour où je me suis fait démasquer par ma mère. En effet, dire devant elle « éfé leufeu mefeu soufou leufeu », traduction pour les non-initiés, « elle me saoule », n'était pas digne d'un agent secret britannique. Depuis, nous étions convenues de quelques gestes simples aux significations particulières.

Remettre une mèche de cheveux derrière son oreille signifie : « Il arrive, bordel, il arrive ».

Les yeux de Cassandra brillent autant que sa robe et ses joues vont bientôt finir par se déchirer si elle continue à sourire ainsi.

— Que puis-je faire pour vous, mesdames ?

Je reconnais sans aucun mal cette voix et cette réplique familière. Merde !

Mais qu'est-ce qu'il fout là, lui ?


Love ticket ( La condamine )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant