Avec l'inconscience d'un enfant, je me lève de mon siège d'eau chaude afin de suivre cet homme semblant me parler. Ses lèvres dessinaient des paroles silencieuses avec l'assurance d'un Colonel expérimenté. Mes habits gouttaient de l'eau couleur sang. Quitter la baignoire, qui apaisait mes muscles endoloris, déchirait mon coeur entaillé par des failles profondes et luisantes. Afin de guider mon corps maladroit d'enfant, l'homme me tendit sa main marquée par l'âge. Je lève les yeux afin de le remercier, en espérant rencontrer un regard chaleureux et rassurant. Cependant, mon regard vitreux ne rencontre guère la chaleur, mais le néant et le vide de deux orbites noires dirigées droit vers moi. Le néant.. Ces fosses dépourvues de toute âme attiraient la mienne.
Je pose donc la paume de ma main blanchie par le brutal changement de température sur la sienne, et il m'attira vers lui, tout en gardant ses orbites braquées sur mes yeux. Une fois à un souffle de lui, l'homme mystérieux rompit le contact en faisant volte-face et s'engagea devant moi afin de sortir de la salle de bain. Le crépuscule allongeait les ombres des arbres devant les fenêtres de l'appartement, rendant l'atmosphère incroyablement apaisante. Le sol m'attirait contre lui comme une étreinte de condoléances, mais la main du vieil homme semblait me maintenir en vie et recoller les morceaux de mon âme brisée, tel un fil recousant la plaie vive d'un blessé fraîchement opéré.
Il m'entraîna hors de mon appartement maintenant orné d'ombres de créatures invisibles capables d'arrêter le trajet de la lumière par leur simple présence. Une fois sorti du bâtiment, toujours en tenant ma main, l'homme se tourna subitement vers moi. J'essayais de le dévisager; en vain. Mes yeux ainsi que mon âme étaient happés par la présence du néant auprès de moi. Une voix rauque retentit dans ma tête, se répercutant tant qu'elle me donnait la nausée et me fit répliquer un haut-le-coeur. Elle était indiscernable, et m'a forcé à détourner les yeux de l'homme en me faisant plier sur moi même de douleur. J'agrippais ma tête de mes mains, en rompant donc tout contact avec le néant, et lançais un cri; étouffé par la voix tonnante.
Après un laps de temps que je ne pourrais déterminer, les paroles deviennent distinctes et compréhensibles: Les flammes éteintes ne devraient pas s'enflammer de nouveau, répétait la voix d'une tonalité de plus en plus forte, m'arrachant la force qu'il me restait et me faisant tomber au sol. Au moment du contact de mes genoux avec le goudron, la présence s'arrêta de parler d'un coup, laissant mon esprit dans un silence plus sourd que la voix.
Je me relève, les paroles entendues hantant mon cerveau, que je ne comprenais pas. En relevant les yeux vers l'homme, je compris que c'était sa voix, à lui, qui retentissait dans ma tête. Il a réussi à pénétrer mon âme.
Pour une fois, je parvins à ne pas concentrer mon attention sur les orbites de cet homme, et ce à cause d'un sourire que celui-ci m'a lancé, dévoilant une lignée de petites dents blanches et pointues. Tel un chat. Je lui souris à mon tour, incapable de penser, et le suis tandis qu'il commence à marcher en direction de la Seine, comme si je le connaissais depuis des siècles. On traversa la route déserte, l'un derrière l'autre. Mes pas étaient chancelants et incontrôlables, mais je me forçais à rester à l'allure de l'homme.
La nuit était tombée sur la ville de Paris, plus aucune ombre ne se dessinait sur les murs des immeubles. Les lampadaires ne marchaient pas en cette nuit froide. Le vieil homme s'était équipé d'une lanterne à bougie: comme par miracle elle a apparu dans sa main. On atteignit la rive de la Seine dans le silence, ou presque : la voix retentit de nouveau dans ma tête, plus silencieusement que la dernière fois. Dans la goélette.. Ta flamme est dans la goélette..
Après avoir entendu ces paroles, j'ai balayé instinctivement la Seine du regard. Aucune goélette en vue. Un silence de mort planait sur la ville, reflétant son activité inexistante. Je lançais un regard incrédule à l'homme, qui avait levé la lanterne en l'air d'une main, et agrippé mon bras de l'autre tandis je scrutais le fleuve s'étendant à l'infini d'une part et d'autre de la ville. D'un ordre silencieux, il m'ordonna de river mes yeux sur celui ci.
Il balança sa lanterne trois fois et la goélette apparut lentement. Elle s'approchait, de plus en plus de nous. Mes yeux ne pouvaient quitter le bateau voilé, soumis aux forces puissantes du vent qui balayait sans pitié les tissus. Le bateau s'était arrêté près de l'endroit où nous l'observions. L'homme, toujours en m'agrippant fermement de sa main, s'avança vers la goélette, et, une fois devant, m'invita à escalader la clôture de la couleur du jais nous séparant de l'immense bateau de bois.
Incapable de poser mes pieds maladroits aux endroits propices, l'homme fût contraint de me porter de ses mains afin que je puisse passer de l'autre côté de la barrière lugubre. L'esprit embrumé, je suivis mon guide qui pénétrait dans les entrailles de la goélette. Les ténèbres se refermèrent sur nous. Il n'y avait plus la lueur de la Lune, à l'intérieur. Seule la flamme nous éclairait. L'entrée débouchait sur une grande pièce. Je n'ai eu le temps de l'observer : un mouvement en face avait attiré mon attention. L'homme leva sa lanterne, et éclaira un visage d'une pureté absolue.
D'enfant je redevins adulte. Une femme se tenait devant moi et, pour la première fois depuis longtemps, j'ai pu me concentrer sur quelque chose d'autre que ma propre souffrance infinie. Mon coeur battait la chamade tandis que je contemplais. Elle était grande, avait les jambes élancées et une silhouette fine. Ses cheveux roux flamboyants semblaient s'enflammer sous la lumière de la bougie qui éclairaient la femme. Ils ondulaient sur ses épaules nues et s'arrêtaient au niveau de son abdomen. Ses yeux couleur ambre étaient plongés dans les miens, emplis d'un sentiment que je ne reconnaissais pas. Lorsqu'elle s'approcha de moi, une douce odeur m'enveloppa tel des bras d'une mère enveloppant ses petits. Une douce chaleur familière se propagea dans mon ventre, et mon coeur se serra. Un éclair de douleur me transperça. Je reconnus le sentiment exprimé dans ses yeux : l'amour. Ma flamme.
Une larme coula sur sa joue, réfléchissant la lumière qui lui parvenait. Mon coeur palpitait tandis que je me noyais dans son regard tendre, mais ma respiration devint profonde et rauque.J'avais l'impression de renaître. Je fus incapable de respirer lorsqu'elle tendit sa main fine vers ma joue. Cependant, elle ne l'atteignit jamais.
Elle arrêta son mouvement lorsqu'elle réalisa que sa main fondait. Je lâchais un hurlement paniqué. Non, NON ! L'espace autour de moi fondait, les yeux de ma flamme sortirent de leurs orbites qui devinrent aussi noires et profondes que celles de l'homme inconnu. Un cri de mon étincelle retentit dans le silence, et le néant m'engloba.
Celui ci se met lui même à fondre doucement, en gouttes régulières, afin de dévoiler devant mes yeux une pièce de bois, remplie de personnes incrédules lançant des regards interloqués. Un bar se situait à ma droite, je devinais que je me situe dans une cafétéria. Ma respiration était pantelante tandis que les effets se dissipèrent progressivement. Ma vision devint de plus en plus nette et précise. Je sortis de ma transe malgré le fait que la drogue me laissa sans forces, et ma schizophrénie me laissa sans voix. Je ne puis répondre aux questions bombardantes de la foule amassée autour de moi: je m'écroule par terre, en sanglots. La mort du seul être que j'ai aimé laissera à jamais mon coeur de pierre empli de cendres.
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Plonger dans l'oubli les pensées pessimistes
EspiritualJe ne classe pas les écrits dans l'ordre chronologique, mais en fonction de leur type. En effet, dans un premier temps se situent les nouvelles, bien élaborées, puis il y a les écris divers, expériences littéraires que je fais. Tout déferle d'un cou...