Texte 7- Je suis un insecte

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Bzzzz....

Bzzz...

Je suis un insecte.

Crrrrr....

Je le sais. Je suis un insecte.

Bzzz...

Désolé, non, je ne cesserai pas. Inutile de l'exiger. Bzzz... C'est ainsi que je m'exprime.

Bzzz...

Crrr...

Vous n'aimez pas ça ?

Je m'en moque.

Bzzz...

Laissez-moi avec vos paroles. Vous ne comprenez pas.

Ma bouche vrombit plutôt qu'elle ne parle. En fait, elle n'est pas conçue pour prononcer vos mots.

Bzzzz....

On me l'a suffisamment dit : je ne suis pas humain. Pas besoin de me le répéter. Pas besoin non plus pour moi de démentir cette affirmation. Je sais qu'elle est bien réelle.

Je la vois dans toute sa matérialité monstrueuse en face de moi dans le cadre doré du miroir. Je suis un être grouillant, répugnant, tout de pattes grêles et d'abdomen carapaconné par de la chitine noire mordorée. Ma tête triangulaire aux larges yeux à facettes s'orne de mandibules coupantes comme des faux. Puissantes et broyeuses, elles dévorent tout. Selon les jours, je suis xylophage, coprophage ou anthropophage. J'innove et je surprends toujours. Tout dépend des opportunités alimentaires que l'on me laisse quand je réussis à sortir d'ici.

Bzzz....

Crrrrr....

Ah ah ! Ne me fuyez pas ma présence, de toute façon vous ne le pourrez pas ! La porte est fermée et je suis partout dans votre ombre. En fait, dès que je le peux, je profite de vous, de vos maisons, et de vos restes. De tous vos restes.

Bzzz... Crrr...

Je vous dégoûte tellement quand vous me découvrez à l'œuvre dans un recoin sombre que souvent vous sursautez et vous vous enfuyez paniqués, courant la bouche pleine de cris stridents et horrifiés. Je vous effraie et je vous répugne à la fois. À ce que je vous entends souvent dire, tout en moi vous soulève le coeur. De mon aspect à mes comportements. Pourtant, je suis là, sur cette terre, avec vous. Vrombissant, rampant, voletant, c'est selon.

Bzzzz....

Crrrr...

Je suis un insecte.

Bzzz...

Dans mon dos bossu, mes élytres ont envie de se déployer et de libérer mes ailes. Mais vous, vous ne le voulez pas. Vous me forcez encore à regarder mon reflet dans le miroir et à articuler des sons que vous comprenez.

C'est difficile de vous parler humain. Cependant, aujourd'hui, plutôt que de virevolter dans les airs comme je le voudrais, je fais l'effort.

Ma bouche s'ouvre.

Vous m'encouragez d'un regard, pourtant elle bourdonne encore. Comme elle l'a toujours fait.

Bzzzz....

Mon reflet, me dites-vous. Je dois me concentrer dessus.

Bzzz... Crrr... Crachote une nouvelle fois ma bouche.

Ce que vous me demandez m'est pénible.

Bzzz...

Oui, ma bouche, ma tête et mon corps sont étranges. Difformes par rapport à vos normes. Je le vois.

Bzzz...

Ce sont ceux d'un insecte.

Pour cette raison, on a souvent cherché à m'écraser en me traitant de saleté ou de cafard. Pourtant, Bzzz...

Je ne suis pas l'un d'eux.

Crrr...

Eux ne sont que mes frères. Ceux avec qui je partage en secret cette pièce. Blanche. Si blanche dans le soleil. Tellement pas faite pour moi et ma manie de l'ombre, que cela en est risible.

Mon père me l'a souvent répété. Je ne suis qu'un insecte écœurant, juste bon à vivre dans le noir et les ordures, avant d'être éliminé à coups de pieds impitoyables. Il a d'ailleurs souvent essayé de le faire, me laissant les pattes brisées et le ventre éclaté.

Bzzz...

Après, c'était le noir. La douleur qui vrille mon système nerveux.

Crrr...

La survie...

Bzzz...

Je suis un insecte.

À part manger les ordures, je ne sers à rien. Je grouille simplement, forme de vie végétative et primaire, telle une immondice de la société, qui prospère, ou survit, dans l'ombre.

C'est ainsi que les autres m'ont trouvé quand ils sont venus me chercher pour m'emmener ici. Dans une cave. À même le sol. Mon corps d'insecte supplicié remuant parmi mes semblables, fuyant la lumière, au milieu d'un tas de déjections et d'ordures. Malgré leur dégoût profond pour ce qu'ils ont vu, ils m'ont sorti de là. De force. Ils ont voulu me ramener parmi vous. J'ai senti leur pitié empressée de se donner bonne conscience. Depuis, comme vous en ce moment, beaucoup ont essayé de me faire parler humain, ils m'ont aussi dit des choses sur moi et ce que je suis réellement.

Mais, en moi, je suis toujours un insecte.

Bzzz...

C'est ainsi que je parle.

Crrr...

C'est ainsi que je réponds.

Bzzz...

L'être qui me regarde encore une fois dans le miroir n'a pas de visage propre, et il n'en aura jamais. Il est semblable à des milliers d'autres, avec ses yeux pâles et globuleux et ses poils filasses hérissés sur le sommet de son crâne, comme des antennes dérisoires.

Je ne le connais pas.

Je ne lui parlerai pas.

Moi, je suis un insecte.

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