Texte 10- Exode

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On a de la visite.

Un frelon asiatique virevolte, non loin de la jeune ruche bruissant d'activité. Malgré le labeur qui attend l'abeille ouvrière que je suis, je ne peux pas détacher mes yeux de l'intrus. Le terrible prédateur, monstrueux titan de charbon à l'abdomen zébré d'or, observe avec appétit le grouillement de mes congénères. Celles-ci sont encore trop occupées à la récolte du miel et de la cire dans les alvéoles pour s'inquiéter de la menace. Notant mon inactivité, une abeille exploratrice se pose à mes côtés et aperçoit à son tour le danger.

C'est un éclaireur. D'autres vont venir. Ils ont installé leur nid près d'ici.

Ce sont eux qui ont anéanti les ruches voisines. Même les guêpes ne peuvent leur résister.

Nous sommes les prochains.

Le frelon repart pour avertir ses congénères, brassant l'air d'un bourdonnement sinistre.

Trop tard pour le poursuivre.

Nous n'avons pas beaucoup de temps. Il faut avertir la ruche. La Reine est la priorité.

L'exploratrice s'envole et dissipe l'alerte dans la population industrieuse. Le labeur collectif s'interrompt, et une vague de panique submerge aussitôt la ruche. Les ouvrières s'affolent, abandonnant leurs tâches, volant dans tous les sens. Une attaque imminente ? La toute jeune colonie n'y est pas préparée ! Des frelons ? Tout est perdu ! Seule la Reine, posée au cœur de la cité, garde un semblant de calme.

Il me faut partir maintenant. Quitter ma ruche, voler le plus loin possible, et en fonder une nouvelle.

L'essaimage est la seule solution pour perpétuer notre famille.

Les exploratrices ont trouvé un endroit propice. Mais si les frelons nous suivent, nous sommes condamnées.

Je ne vais emmener qu'une escorte réduite pour ne pas attirer leur attention.

LES VOILÀ !

Une dizaine d'exploratrices et d'ouvrières, moi incluse, encadrent la Reine alors que celle-ci tente de quitter la ruche par la base. Plus haut, une horde de frelons s'attaquent déjà à la paroi avec leurs mandibules affamées. Les énormes monstres finissent par crever l'enveloppe et plongent en piquée vers leurs centaines de proies en pleine anarchie. Les mâchoires acérées des agresseurs broient les têtes, tranchent les thorax, ouvrent les abdomen, dévorent la chair, pillent le miel et la cire.

La Reine et son escorte échappent au carnage de justesse et nous volons à l'air libre, sans nous retourner, laissant derrière nous un charnier envahi de barbares repus de leur appétit de meurtre et de destruction, abandonnant dans la douleur ce qui fut notre ruche. Mais deux frelons pas encore rassasiés remarquent les fugitifs et nous prennent en chasse, balayant l'air chaud de phéromones vindicatives avec leurs funestes ailes bourdonnantes.

Ils sont trop rapides !

Nous allons essayer de les ralentir.

Moi, une autre ouvrière et deux exploratrices faisons demi-tour, prêtes à l'ultime sacrifice, et fonçons vers nos poursuivants. Derrière nous, la Reine et sa maigre escorte s'éloignent. Nous engageons un combat désespéré, virevoltant autour de ces deux monstres capables de nous rattraper et nous broyer sans difficulté. Cette petite taille qui fait notre faiblesse face à eux doit se transformer en avantage. Puisant dans nos dernières réserves d'énergie, nous évitons leurs pattes griffues et leurs puissants claquements de mandibules pour tournoyer autour d'eux. Deux de mes sœurs succombent, hachées par l'un des monstres, et celui-ci se détourne de sa chasse pour dévorer ses proies.

Le dernier frelon n'est pas prêt à déclarer forfait et accéléra. Moi et ma sœur exploratrice nous concertons du regard, puis prenons brusquement de l'altitude pour passer au-dessus de l'ennemi et s'agripper à son dos. Le frelon, surpris, se débat avec rage, mais nos dards se plantent dans son thorax. Mon esprit s'enveloppe de ténèbres à mesure que mon poison s'insinue dans le corps ennemi. D'abord fou de douleur, le frelon commence à faiblir, puis à descendre en piquée pour s'écraser dans l'herbe grasse. Le monstre remue une dernière fois, avant que notre venin ne triomphe de lui.

Je parviens à retirer mon dard du titan déchu. Ma sœur n'a pas eu cette chance et agonise. Nos antennes se frôlent, son sacrifice n'est pas vain. Je tourne la tête et aperçois les ruines de notre ruche, assaillies par un deuxième essaim de frelons qui dispute avec férocité les restes de notre cité avec nos assassins.

Je rassemble mon énergie et réussis à m'envoler, me lançant sur la piste de notre Reine. Derrière moi, les frelons sont trop occupés à s'entretuer pour faire attention à une simple abeille ouvrière isolée.

Alors que je vole au-dessus de l'herbe verte dans l'air doux du printemps, suivant un sentier de phéromones familières, une certitude réchauffa mon corps blessé par la bataille.

Notre famille a survécu, et je vais rejoindre ma nouvelle maison.

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