Un son de trop

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Un hiver de 1943, le froid s'affaissait, laissant place à des arbres dénudés de leur chair automnale.

Derrière un encadrement de verre vieillis, reposait Lucie sur sa chaise de chêne. Ses yeux étaient rivés sur son petit carnet où était gravé avec délicatesse, de nombreux et de magnifiques paysages racontant de page en page ses souvenirs natals.

Lucie savait écrire, elle savait parler, elle savait marcher, elle savait dessiner, elle savait aussi jouer avec ses poupées de chiffons confectionnées par ses soins...Mais pourtant elle n'était pas comme toute ces petites filles:
Lucie ne percevait aucun son pouvant tintinnabuler ses petits tympans.

C'est pourquoi, elle se referma sur ce misérable cahier où elle pouvait enfin s'exprimer et divulguer ses pensées. Pour elle ce n'était pas qu'un misérable cahier: "c'était son voyage."

Près de son bureau, où était disposé une lampe à pétrole, Lucie étala ses bras frêles et d'un geste volatile, plongea sa plume dans cette nuit opaque.

( La lumière disparut.... La lumière revint)

Lucie n'était plus là, où seule cette tache d'encre, vulgairement et précipitamment déposée sur cette feuille blanche, régnait.

Elle se réveilla, inconsciente et apeurée de cet endroit mystérieux qui la faisait tanguer, balancer, faisant cogner ses petits membres squelettiques et échappant de son corps des larmes de sang sur les parois de l'inconnu.

Face à elle des gens : des mamans, des papas, des enfants pensait-elle. Mais il n'y avait personne qui semblait être les siens. Ces gens étaient tous indifférents et identiques à elle ; ils avaient tous cette petite étoile jaune adossait à leur habits, ces étoiles semblables à celle de la nuit.

Ce petit garçon au fond de cet endroit attirait l'attention de Lucie, elle admira ces traits , fatigués du voyage, son teint, aussi sale que le temps et ses yeux aussi profond que la nuit.

Elle voulait à tout prix attirer son regard et pour cela elle toussota de vive voix, leur regard se croisèrent, son regard était mélancolique et désert tandis que Lucie ne comprenant guère cette tristesse, d'un geste attendrit s'installa à ces côtés. Il n'arrêtait pas de tourner ses lacets de cordes d'un côté puis de l'autre sans empathie face à sa camarade.

- Moi c'est Lucie. balbutia t-elle

Tout les regards des passagers se posèrent sur elle, leur visages se craquelaient, leurs corps se démembraient, leurs lèvres s'asséchaient par le manque d'air et de lumière. Plus rien ne vivait dans cette scène d'horreur, plus rien sauf ces deux gamins.

- Je suis Léo. rétorqua le petit garçon intimidé

Lucie fixait sa bouche, ainsi que tous mouvements de lèvres afin de découvrir l'identité de ce garçon. Elle le regardait avec une compassion qu'elle n'eut jamais éprouvée face à un inconnu, c'était la première fois qu'elle se confiait d'une telle façon autant qu'à son carnet, en oubliant la présence de tous ces cadavres vivants. Son carnet....n'étant plus à ses cotés pour pouvoir exprimer la peur qu'elle voyait.

Elle ne prenait plus attention à Léo ayant compris qu'il "savait" par la manière dont il l'a regardé à présent.

Elle trouva alors un petit caillou près de sa main, le prit avec hésitation puis se lança dans l'histoire. Elle dessina avec froideur, avec peur, et avec dégoût sur ce bois délabré, moisi et pourri par l'humidité. Elle gratta chaque millimètre, chaque centimètre à s'en faire déchirer la peau de ses doigts maigres dont le sang coulait formant à ses pieds des flaques luisantes.

C'est alors que la lumière traversa ses yeux, qui brillaient. Elle ne voyait plus rien. Elle sentait juste une odeur acre qu'elle n'avait jamais sentie auparavant, une odeur de mort.

Lorsque ces yeux se déployèrent petit à petit, le petit garçon n'était plus là, les gens à cotés s'agitaient comme des animaux en cage. Elle ne comprenait pas jusqu'à que tout à coup, elle entendit un son, un son aigu qui traversa pour la première fois ses tympans, un son qui lui serra la gorge. Elle pensait qu'elle rêvait jusqu'à qu'on deux mains la prirent et la mirent face à ce paysage tragique.

Ils la mirent face à eux, Lucie n'avait aucune résistance. Elle regardait le ciel, comme il était beau disait-elle en admirant trois oiseaux libres, courant à travers les nuages et les brumes infirmes.

Un vent effleura ses joues creusées par la peur, elle voila ses yeux puis, face à l'infinité des rails de la mort, sur le coup de trois balles, Lucie, meurtrie, s'écroula à coté du petit garçon qu'elle avait connu, sur le sol humide des esprits et des morts d'Auschwitz.


Un son de trop.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant