Le retour

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Elle ne se serait jamais doutée qu'il allait pleuvoir. Depuis qu'elle était enfant, les événements se répétaient, inlassablement.Adulte, les mêmes histoires continuaient à se produire à la manière d'un compas éternellement fixé, qui tourne, et tourne,sans jamais s'arrêter, retraçant sur la même feuille, le même cercle, à l'infini. Les humains restaient les mêmes pleurnicheurs, les mêmes traîtres. La télévision la dégoûtait toujours autant. Cela faisait une semaine qu'elle était revenue chez ses parents, rien n'avait vraiment changé. Les mêmes petites tasses en porcelaine de Chine trônaient fièrement dans le même meuble du salon. La photo de sa grand-mère, au-dessus de la cheminée, réchauffait toujours autant la famille. Cette visite l'avait en quelque sorte décidée. Elle savait désormais qu'elle ne pouvait plus continuer à vivre la petite vie bien réglée qu'elle avait, elle ne pouvait plus sauver les apparences. En entrant chez sa mère ce jour-là, elle sentit la même vieille odeur de lentilles cuisinées avec du piment, de la viande et quelques rondelles de carottes surgelées. Son père adorait cela. Elle salua sa mère comme à l'accoutumée et se rendit dans sa chambre d'adolescente. Le temps continuait à s'écouler, elle avait désormais vingt-sept ans. Elle regardait avec nostalgie et amertume tous les livres qui l'avaient fait rêver. Des romans à l'eau de rose pour jeunes filles en fleur, mais aussi des mangas tout aussi niais. Tout cela s'était passé comme dans un rêve, un rêve quel'on vit avec bonheur sur le moment, mais qui avec le temps se déconstruit au point d'en faire une histoire que l'on sait belle, mais à laquelle on n'a plus envie de croire. Le lit était toujours aussi confortable, le plafond toujours aussi blanc. Seule une tache dorée s'y démarquait. En se relevant, elle pivota sur la gauche et se trouva nez à nez avec le miroir. Le reflet doré venait de lui. On lui avait offert ce miroir pour ses seize ans. Elle s'y était contemplée des milliers de fois, elle n'était pas plus belle qu'une autre, mais elle voulait plaire. Au pied de ce miroir se trouvait une boule de cristal. Enfant, elle croyait qu'elle pouvait y lire son avenir. Elle y voyait toutes les sortes de gageures absurdes que son conditionnement lui promettait, mais la prédiction qui revenait le plus souvent, c'était qu'elle vivrait à la mer. De nouveau couchée sur son lit, elle sentait le tissu de la couette contre la chair blanche de ses mollets découverts. L'air était immobile.

Elle semblait découvrir sa propre existence. Elle venait de comprendre la blague. Rire ou pleurer ? Elle était là, couchée sur son lit d'adolescente, près de six ans après avoir quitté le domicile parental, à regarder le plafond. Tout était absurde. Que faisait-elle ici ? Pourquoi avait-elle vécu ? C'est tout le cheminement de sa vie qu'elle remettait en cause. Elle avait vécu son adolescence sans se poser la moindre question. Elle avait quitté le domicile parental pour aller étudier dans la ville voisine. Elle y avait rencontré plusieurs hommes, plus ou moins beaux, plus ou moins intelligents. Elle a aimé. Elle s'est finalement attachée à lui. Pas qu'il fût plus beau ou plus intelligent qu'un autre, mais il avait besoin d'elle, elle, avait besoin de quelqu'un. Elle s'était persuadé tout ce temps qu'elle menait bonne vie. Noyée dans le quotidien, elle s'y était dissoute. Comme un sucre plongé dans une tasse, seuls des cristaux subsistaient, dispersés. Sa vie avait été médiocre.Aucune passion ne la poussait en avant. La médiocrité commence dans l'absence de passions. Rien ne joue le rôle de moteur. On se laisse alors porter par le flot, barque perdue au milieu de millions d'autres barques, le temps avance, le fleuve suit son court. Au final, soit on en prend conscience, et fatalement on en souffre, soit on meurt aveugle, et je ne sais pas si cette situation est plus enviable.


Le temps est maître, le temps est traître.




L'eauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant