Les éclats de givre

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Les éclats de givre


Le soir arrivé, elle se décida à se rendre sur les lieux de sa première jeunesse. D'abord l'école primaire, le collège ensuite, et finalement le lycée. Assise en face de celui-ci, le vent se faisait glacial en ce soir d'hiver, son petit nez était rouge.Les plantes autour du banc sur lequel elle était assise dansaient au rythme de la voix du vent. Cette ballade sur les lieux de sa jeunesse avait été comme un rendu accéléré de sa vie. De l'école primaire au lycée, elle avait mis vingt-cinq minutes.

— Quelle perte de temps, pensa-t-elle ! Que d'énergie et de temps dépensés pour un chemin aussi court. À quoi bon m'auront mené plus de vingt-sept années d'existence ? J'ai été trompée, oui, trompée ! On m'aura fait croire que j'avançais. La belle histoire ! On n'avance pas, on stagne,on devient mou, on s'avilit ! Qu'est-ce donc qui aura poussé les hommes à vivre en société ? L'état de nature ne leur allait-il pas assez ? À quoi bon toutes ces ridicules conventions, ces hiérarchies ? Suis-je si naïve à me poser ces questions, auxquelles la majorité des gens rétorqueraient en rigolant : « La pauvre, elle découvre finalement la vie ». Le cynisme nous a tués. On cache notre ignorance par le rire. Le mépris est la norme, pire même, il permet de se faire une place. Attention, mesdames et messieurs, Voltaire et son petit rictus viennent vous informer par la vanité la plus extrême !Avait-il encore le mérite d'écrire certaines choses intelligentes. Que dire de nos jours de ces polémistes, ces pseudo-spécialistes que l'on voit à longueur de journée sur nos écrans ? Les pauvres ! Je suis persuadée qu'ils n'ont même pas conscience de la médiocrité qui est la leur ! Leur orgueil gonflé par la masse qui acquiesce leur fait croire à la pertinence de leurs propos. Sont-ils heureux ? Je ne sais pas, peut-être. Ce qui est sûr, c'est qu'ils n'ont aucun recul sur eux-mêmes. Et moi dans tout ça, en ai-je vraiment sur ma personne ? Il a fallu que je revienne chez moi pour remettre toute ma personne en cause, preuve de l'absence de recul dans lequel je vivais jusqu'à présent.

Le vent s'arrêta net. Le temps s'était figé, comme cristallisé par le froid. Elle eut du mal à décadenasser son vélo.Ses doigts, malgré les gants, étaient à la limite de la gelure.Pendant qu'elle pédalait, elle profitait des rues vides de la ville. Elles semblent beaucoup plus froides lorsque personne n'y est. Les gens étaient en train de dormir. Leurs désirs ainsi que leurs peurs sommeillaient avec eux. Ils désiraient jouir.À quoi bon travailler, étudier, si l'on ne désire pas jouir ?Ils ont peur de ne pas ou peu jouir. Celui qui n'aurait ni le désir de jouir ni la crainte de ne pas jouir, ne sortirait assurément pas de chez lui chaque matin. Sur son vélo, elle voulait jouir de grands espaces, la largeur des boulevards haussmanniens ne lui suffisait assurément pas. En arrivant chez elle, elle remarqua que la pelouse était, comme la vitre de la voiture de son père, tout étincelante.C'était le givre. Elle leva alors tout doucement la tête vers le ciel. Il était clair, elle y distingua la constellation de Cassiopée, ainsi qu'une dizaine d'autres étoiles.

  — Le ciel lui aussi a froid se dit-elle, ces étoiles ressemblent à s'y méprendre, au givre.



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⏰ Dernière mise à jour : Dec 31, 2015 ⏰

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