6. Romain mène à tous les chemins

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La sonnerie de ma porte d'entrée me fit l'effet d'une flèche. Une énorme flèche qui aurait traversé ma poitrine sans la blesser, mais en me secouant de tout mon être. Cette flèche disait : L'aventure commence pour toi.

Jusqu'à ce moment, la possibilité que tout ceci n'ait été qu'un rêve vivait encore. Cette sonnerie venait de la tuer : l'idée que je n'avais pas vraiment dit oui à cette mission gisait à mes pieds, son corps transpercé d'une énorme flèche. À l'heure précise qui avait été anticipée pour son exécution.

Je me dirigeai vers la porte en faisant montre d'un calme qui m'étonna. Je l'ouvris avec sang froid, et l'homme qui me regardait, sur le palier, brisa toute ma belle assurance, avant de la reconstruire instantanément, en un simple "bonjour !"
Il avait une petite trentaine d'année, un sourire à la fois timide et charmeur, avec des yeux qui semblaient en permanence demander des excuses. Il portait un jean décontracté, des baskets usées, une veste kaki, et - c'est le petit détail qui m'avait le plus surprise - un vieux sac à dos.

Son visage contrastait avec cette apparence générale - ses yeux, en particulier, trahissaient une vivacité d'esprit que son humilité ne pouvait dissimuler.

- Bonjour Mélodie, dit-il en me faisant la bise sans hésiter, je suis Romain, de VIP Select. Prête ? Ça va, je n'arrive pas trop tôt ? Je peux t'aider ?

Je n'en avais pas conscience alors, mais VIP Select était une conciergerie pour les riches ; une agence qui proposait toute sortes de prestations à ceux qui pouvaient se les offrir, du genre privatiser une boutique de jouets sur les Champs Élysées pour une star du rock.

À ce stade, j'avais bien compris que mon impression première à propos d'Ulysse était fausse : non, nous n'étions pas du même monde. Cet homme avait de gros moyens, cela me semblait de plus en plus évident. Je n'imaginais simplement pas à quel point.
Avec ce que je sais de lui aujourd'hui, je peux facilement imaginer la scène : il appelle une de ses secrétaires à travers la pièce, Agnès, peut-être, et lui dit juste "j'ai oublié - il faut ramener Mélie ici, aujourd'hui ; elle ne va pas voyager toute seule !"
La secrétaire appelle une des agences VIP au hasard, et leur dit simplement : "Mélodie doit être ici demain à 15:00. Appelez l'agence Evita, qui vous donnera ses coordonnées. Assurez-vous que son voyage se déroule dans les meilleurs conditions."
De là, l'agence se renseigne sur tous les moyens de transport pour Marseille, envisage l'hélicoptère, et retient finalement le train. Elle prend toutes les réservations, prépare une voiture, vérifie les travaux éventuels et autres manifestations sur le chemin qui mène à la gare, et m'envoie Romain pour me tenir la main.

Le printemps inondait mon petit appartement parisien de sa plus belle lumière, et Romain se montrait adorable. Tandis que prête à partir, je l'attendais en le regardant arroser mes plantes, il prit par exemple le soin de me dire que lui aussi oubliait tout le temps ce genre de détails pour lui-même, et n'y pensait que chez les autres. Une manière de ne pas me traiter d'étourdie à travers toutes les vérifications que je le voyais effectuer pour moi.

- Tu es sûre, tu ne préfères pas me laisser un jeu de clés, pour que je vienne vérifier ton appart' pendant ton absence ?

Décidée à bien paraître, je m'étais dégotté chez Tati un petit tailleur à jupe crayon façon escort-girl dans lequel je m'efforçais de sembler à l'aise. Je ne l'avais pas montré à Sarah, de crainte qu'elle se foute de moi.
Je répondis à Romain en lissant ma jupe sur ma cuisse pour la dixième fois :

- Non, c'est gentil. Je ne pars que pour quelques jours, de toute façon.

Il était, pour moi, hors de question de confier mes clés à ce type dont je ne savais rien : la proposition me paraissait tout à fait farfelue. Si j'avais su...

En bas de l'immeuble, une belle voiture avec chauffeur nous attendait, garée juste devant, en double file. Romain, qui portait ma valise, déposa celle-ci dans le coffre, puis m'ouvrit la portière. Les vitres étaient fumées. Entre les deux sièges avant, déposé sur une tablette, un joli bouquet de petites fleurs violettes embaumait le taxi de ses douces senteurs. Il se tournait vers moi, comme pour m'indiquer la place qui m'était réservée.

Le conducteur, un malabar en costume, me salua d'un sourire chaleureux, puis démarra, tandis que Romain me demandait si je souhaitais un verre d'eau, du Champagne, ou autre chose.
Notre voiture contourna la Gare de Lyon, pour aller se garer dans une ruelle affreuse, loin de l'entrée principale. J'aurais pu, j'aurais dû paniquer en descendant là, seule entre ces deux hommes, mais la seule présence de Romain suffisait à me rassurer sur les intentions de l'agence, du grec, et du monde en général.
Emportant ma valise, mon guide se glissa entre deux portes aux vitres cassées, je le suivis : juste derrière se trouvait l'accès aux quais des TGV.

Mon petit bouquet en mains, je pris place dans le carré de fauteuils qui nous avait été réservé, en première classe :

- Super ! J'aime bien, être placée dans le carré ! Avec un peu de chance, personne n'aura pris les deux autres sièges, et on va faire le voyage avec toute la table pour nous !

Romain me répondit d'un sourire affectueux :

- ...Avec un peu de chance, oui. Espérons !


Une croisière en cuirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant