*La douce brise printanière agite gracieusement mes feuilles. De temps en temps, l'une d'elles s'envole, pour conter cette histoire*
C'est l'hiver, je suis dépouillé de mon feuillage, mes branches tremblotent sous le duvet glacé de neige. L'écureuil roux, bien à l'abris à l'intérieur de mon tronc, se délecte des noisettes qu'il a, tant bien que mal, amassé durant l'été. Il ne reste du nid abandonné, sur l'une de mes plus hautes branches, que quelques brindilles gelées. Mes congénères ne sont pas en meilleur état mais bon, cela fait cent quatre vingts cinq ans que nous sommes là, alors un hiver de plus ou un de moins... Tout comme les mêmes champs et les mêmes paysages scintillent sous cette couverture figée. Ou encore ce même banc à la peinture écaillée, ancré sous mes branches depuis si longtemps.
D'ailleurs, une jeune fille blonde s'assoit sur ce dernier, une viennoiserie à la main. Elle est emmitouflée d'un manteau gris à fourrure. Un bonnet à ponpons couvre ses oreilles rouges. Elle a le teint rosée par le froid et de grands yeux acier assorti à son manteau. Peut être attend t-elle le bus qui s'arrête non loin de là. Une jeune homme, promenant un chien husky, s'installe au côté de la fille. Sans doute se connaisse t-il ? Non finalement, ils ne s'adresse pas la parole. Pourtant, au bout de quelques instants, elle lui lance de timides regards, il lui sourit. Les minutes passent, baignées dans une étrange gêne qui semble leur être commune. Il se lève, elle part. J'ai conscience que quelque chose vient de se passer, quelque chose qui a traversé l'air entre eux, un échange muet... Qu'est-ce ? Je ne sais pas encore...
La journée passe calmement. Puis, dans l'air vif de l'hiver, le plafond s'obscurcit et se remplit d'une multitude de lueurs. Cent quatre vingt cinq années à contempler ce ciel étoilé, et jamais je ne m'en suis lassé. Un cri raisonne dans la nuit, une plainte déchirante qui hérisse mes feuilles. J'aperçois deux yeux scintillants sur la colline, non loin de là. La lune se reflète sur le pelage argenté de l'animal qui crie son désespoir. Je sais ce qui se passe. Une goutte de neige fondue coule le long de mon tronc. La louve s'approche de moi, une boule de fourrure dans la gueule. Elle la dépose sur mes racines, inerte. Elle lève vers moi son regard brillant, lançant une dernière plainte, puis s'échappe, le cœur brisé. Le souffle glacial du vent recouvre la petite créature d'une couverture poudreuse. Mes branches chantent leur deuil, puis le bruissement s'estompe remplacé par un triste silence.
L'aube grise et pâle pointe son nez. Quelle est donc cette ombre bien matinale ? Le jeune homme de la veille, accompagné du husky au regard saphir. Subitement, en le voyant, je repense à la louve. Justement, le chien s'est arrêté et observe mes racines avec un intérêt teinté de crainte. En effet, la petite boule argentée, malgré la neige accumulée, est toujours là. Le garçon regarde à droite, à gauche, il semble chercher quelqu'un. Son animal se frotte contre ses jambes, dans l'espoir d'attirer son attention. Lorsqu'il y parvint, il s'approche de moi. Oh, murmure son maître. - Qu'est-ce donc ? chuchote une voix. Nous relevons tous les trois le regard. La fille aux joues rosées et à la chevelure des blés regarde le jeune homme timidement. Il sourit. Elle s'approche. C'est un animal ? interroge t-elle en époussetant la fourrure enneigée. Oh ! Elle porte une main gantée à sa bouche. C'est...c'est un chiot ? - Je ne crois pas... - ...alors quoi ? - Un louveteau... Ils restent un instant silencieux. - On ne peut pas le laisser là, dit-elle doucement, ses grands yeux gris brillants étrangement. - Enterrons le, propose t-il. Elle le regarde, il lui tend la main. - Terry - Céleste - Retrouvons nous ce soir où nous ferons une sépulture digne de ce nom à ce noble animal, débita le jeune garçon. Et sur ces mots, ils se séparèrent. Quelle surprise !! Les feuilles m'en tombent ! Jamais je n'ai vu cela en cent quatre vingt cinq ans ! Comment un être aussi malfaisant et égoïste que l'humain peut-il faire ce qu'il vient de faire ?! C'est inexplicable.
Le ciel s'assombrit et tandis que la lueur des réverbères perce l'encre du crépuscule, deux silhouettes floues se rapprochent de moi. Elles sont munies de pelles et de pioches. Sans un mot, elles commencent leur ouvrage, creusant, à gauche et jetant des pelletées de neige. Lorsque le trou est assez profond pour loger la frêle créature, le jeune homme, délicatement, la dépose dedans. A ce noble animal, clame la fille. Puis ils recouvrent la bête, s'adresse un timide salut et repartent chacun de leur côté.
La semaine passe, les jeunes gens se retrouvent tous les soirs sur le banc vert à la peinture écaillée. Je tente de cerner les deux individus qui m'ont stupéfaits par leur étrange bonté. Ils parlent beaucoup plus et échangent des sourires complices. Je ne comprends pas ce subit rapprochement, l'humain est si...peu ouvert aux autres habituellement, caché dans sa routine, les yeux baissés pour échapper au regard d'autrui. Ces deux là semblent si... différents.
Un matin, je vois Céleste sur deux lames, appelées ski et Terry la tient par les hanches tout en la poussant dans la petite pente. Elle prend de la vitesse, il la lâche. Elle tient sur quelques mètres puis, est déséquilibrée par une de mes racines. Elle tombe dans la poudreuse la tête la première. Il la rejoint soucieux. Ça va Cé ? Elle ne répond pas, il se penche vers elle. Soudain la jeune fille relève la tête d'un coup, une boule de neige dans chaque mains et le bombarde avec. Aveuglé, le brun garçon perd l'équilibre, elle le plaque au sol, il se débat et un nuage de neige les engloutit. Lorsqu'il se dissipe, je les vois tous les deux, toujours elle sur lui, immobiles après ce moment d'intense frénésie. Ils se regardent, yeux dans les yeux. Un incroyable sentiment les traverse, elle se penche, il l'attire vers lui et leurs lèvres s'unissent. Parenthèse d'amour et de parfait bonheur tandis que des flocons argentés s'emmêlent dans leur cheveux.
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Feuille d'une histoire...
Historia CortaCeci est une histoire racontée par un arbre, un vieux, un arbre présent depuis cent quatre vingt cinq ans...Un garçon, une fille, des saisons, des animaux,... : la vie de son point de vue. Devant lui, un banc vert à la peinture écaillée...