Chapitre 1

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Il s'étendait à perte de vue de tous les côtés. Nulle crête, nulle aiguille perdue ne brisaient l'horizon monotone du Désert Rouge ; cet espace houleux, balayé par des vagues de poussières carmin qui vous brûlent les poumons. Cette immensité aride, sèche et ingrate renfermait bien des écueils pour les hommes qui en avaient fait leur domaine depuis plusieurs siècles maintenant.

Les pilotes, confortablement assis dans des fauteuils rembourrés, regardaient vaguement leurs instruments de bord. Parmi eux, un radar indiquait la direction et la distance relative de la cité mobile de Stearbury. Les turbines de l'aéronef ESL-4 de la compagnie Embersky Line tournaient à plein régime en un bruit monotone. Les dizaines de petites cheminées disséminées de chaque côté de la carcasse métallique crachaient leurs nuées blanches comme un métronome. Volant à une centaine de mètres au-dessus du sable carmin, l'appareil de fer se déplaçait grâce à la vapeur. Un ingénieux système de pompe et de piston récupérait une partie de la fumée et la condensait pour la réintroduire dans le moteur, ce qui limitait la quantité d'eau nécessaire pour un long voyage.

L'ESL-4 filait en direction de Stearbury que ses capteurs avaient détecté à l'est. Il naviguait à sa vitesse de croisière. Le capitaine estimait une arrivée pour le lendemain si tout se passait bien.

Le radar clignota rouge pour signaler des intrus.

Deux petits avions, des triplaces, se positionnèrent autour de l'aéronef. Ils laissaient derrière eux un sillage de mouton blanc. Leurs hélices les propulsaient à une allure supérieure à celle de leur cible. Les passagers masqués lancèrent de grandes cordes griffues qui se calèrent entre deux bastingages en fer. Quatre d'entre eux entreprirent l'ascension risquée jusqu'à l'appareil en vol, suspendu seulement par le fil tendu. Ils enjambèrent des poutres en métal, brisèrent l'une des vitres avec leurs pistolets et s'engouffrèrent dans le premier wagon de L'ESL-4 à la surprise des voyageurs.

Les assaillants portaient des chaussures cramponnées, des pantalons et vestes marron, la plupart déchirés, et un bandana qui masquait leurs visages. Ils remontèrent de voiture en voiture, et de cabine en cabine, obligeant, sous la menace d'une arme à feu, les hommes et les femmes à se délester de leurs bijoux, montre à gousset, et bien sûr de l'argent en liquide : des pièces de zinc noires arrondies avec un ou plusieurs petits trous, ce qui permettait d'en connaître la valeur. Chaque trou réduisait la qualité.

Assis par six dans les compartiments, les passagers étaient bien habillés avec pantalon, veste, gilet et chapeau haut de forme. L'un d'eux pourtant se démarquait singulièrement. Son visage était dissimulé derrière un masque de fer quelque peu effrayant. À la place des yeux, deux ronds crénelés dorés. Près de chaque joue, une petite excroissance courbe agissait comme un filtre à poussière et des engrenages décoratifs se superposaient jusqu'aux oreilles. Une bande rouge striait le masque noir au niveau de l'œil droit. Les autres voyageurs savaient précisément que cette personne masquée servait le Baron Ambrose Walter Cappel, l'homme qui régnait sur la cité mobile de Stearbury.

Le tumulte dans le wagon supérieur inquiétait les passagers qui entendaient les pillards se rapprocher. La porte s'ouvrit avec fracas sur une mine patibulaire. Quelques secondes de silence s'écoulèrent, un mélange d'appréhension et de surprise, une tension croissante et palpable. Le pillard semblait assez jeune, peut-être n'avait-il pas dépassé la majorité. Un large sourire s'étira sur les lèvres du voleur et il se dandina joyeusement, un grand sac dans la main droite, un revolver dans l'autre, invitant les gens à remplir sa besace de cuir.

— Allez les bourgeois, on donne aux mendiants, on partage un peu les richesses.

La peur se lisait sur les visages des nobles voyageurs, peu habitués à se faire détrousser. Les pirates de l'air attaquaient rarement, mais ces derniers temps, on en recensait de plus en plus. Pourtant, la compagnie Embersky Line avait continuellement refusé d'embarquer des forces de l'ordre ou d'engager des mercenaires pour assurer la sécurité des passagers. L'argument principal reposait sur le coût supplémentaire que cela engendrait.

Le désert RougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant