Il avance dans la pénombre du couloir et rejoint la fenêtre. La seule susceptible d'éclairer quoi que ce soit. La nuit est tombée depuis de nombreuses heures déjà et les lampadaires de la rue grésillent dans un ronflement presque régulier.
Il n'a pas peur, il a compris. Compris que pour les rejoindre il doit suivre le chemin. Et les retrouver. Ils l'accepteront puisqu'ils l'ont appelé et qu'il a fait tout ce qu'ils lui avaient demandé. Tout. Les ombres se rapprochent, se superposent à son visage en un patchwork de nuances ternes et sombres. Un faisceau de lumière pointe sur son œil, comme un signe. Il est prêt, sa respiration est lente, son coeur bat à un rythme profond et langoureux. Il passe sa tête, suivie de son corps chétif dans l'ouverture. Sa carrure frêle inclinée vers le bas. Il fixe le béton du contre-bas un instant, juste le temps de concrétiser son acte futur. Il tremble d'excitation. Il va enfin les rejoindre. Pas une seconde il n'hésite. Il étend ses bras de parts et d'autres de son corps et ferme les yeux, confiant.
Il bascule, plongé dans une profonde allégresse. Il est jeune, excessivement. Et c'est un privilège de les rejoindre à un âge comme le sien. Il est fier. Il se sent unique et privilégié pour la première fois de sa vie. Les voix lui hurlent qu'il se rapproche d'elles et que bientôt, il sera en sécurité. Que la haine, l'immonde pourriture humaine et la peur prendront fin. Que le soulagement est proche, et que son bonheur ne dépend plus que du béton qui se rapproche rapidement. La chute prend fin. Le sol se fissure comme une auréole veineuse autour de sa tête. Un craquement sourd résonne silencieusement dans la ruelle. Son crâne s'est écrasé lourdement sur le sol et durant la fraction de seconde où il oscille entre la vie et la mort, il réalise que les voix ont menti, là où il va il fera froid et il sera sûrement seul. Exactement comme ici. Seulement ici il peut changer. Pas là bas. Et pendant cette fraction de seconde, la plus intense de sa vie, ses émotions bataillent. Il a peur et se délivre du monde. À la façon du monde qui se délivre de lui. Et finalement, il oublie. Il oublie les voix, le froid, la solitude, les médicaments, les médecins et sa vie qui n'a pas réellement commencé, celle qu'il a bloqué inconsciemment. Et tout va mieux, enfin. Il n'est plus et la vie continue, sans les voix et leurs mensonges. Il n'a plus froid, parce qu'il est enfin en paix et qu'il n'est plus seul. Ça n'est pas le seul qui a été piégé par les voix. Elles n'ont pas disparu. Elles sont parties attirer une nouvelle personne trop jeune. Toujours trop jeune.Finalement il va mieux. Il ne peut simplement plus le réaliser. Il ne pourra pas être soulagé. Il a fini par s'effrayer lui même de ses actes.