L'odeur.
L'odeur de chaires brûlées.
Et les hurlements.
Mon Dieu, ces hurlements. Douleurs, rage, horreur, agonie, haine.
Il me semblait que jamais plus je ne pourrais entendre autre chose. Que ces hurlements seraient la seule chose qui raisonnerait inlassablement dans mes oreilles pour le restant de mes jours. Aliénant la moindre parcelle de ma raison.
Je regardais la chaire carboniser sous mes mains tandis que je tentais de maintenir la stibine contre le front du livreur. Je pouvais voir l'homme lutter dans ce corps dont il était prisonnier. J'avais le cœur au bord des lèvres.
Près du canapé, affalé au sol, je voyais Kelen faiblir dans les bras de ma cousine. Elle tentait de compresser la plaie de son épaule avec ce qui lui passait sous les mains. L'idée qu'elle essayait de sauver un démon, démon qui en avait après moi, me donna envie de rire. Je pouvais sentir les premières secousses d'un rire dément se soulever dans ma poitrine, comme un raz-de-marée dont la vague de destruction commencerait à se former, emportant tout sur son passage et ne laissant que des ruines.
Je fermais les yeux au bord de l'hystérie. Je voulus prendre une profonde respiration pour m'aider à m'éclaircir les idées, mais j'en fus incapable.
Des éclairs noirs commençaient à zébrer ma vue, je sentais confusément l'air me manquer, mes idées faiblirent. Je vis Mike me hurler des paroles que mes oreilles bourdonnantes ne perçurent jamais, ses traits déformés par l'effort qu'il mettait à retenir le possédé.
L'odeur de chaires brûlées. J'étais en train de mourir étranglée.
******
Le silence.
Un calme étrange.
Un bruit de pas.
Le silence toujours
Et ce calme étrange.
J'ouvris les yeux, perdue. Il me semblait que je venais de mourir. Et pourtant, c'était le plafond de mon appartement que j'observais en cet instant. Avec ses deux poutres de bois clair, le traversant de part en part. Sous mes mains, je pouvais sentir les veines qui parcouraient le bois du parquet. Plus loin, je percevais un coin de ciel assombri par la verrière.
Je tournais légèrement la tête sur la droite. C'était bien mon canapé beige avec ses coussins désordonnés que je regardais comme pour la première fois. Et ces souliers en cuir noir qui venaient d'entrer dans mon champ de vision, je les connaissais. Je relevais mon regard.
Kelen. Debout. Sain et sauf.
Ses yeux argentés plantés dans les miens. Son demi-sourire dessinant ses traits. Je fermais les yeux, étrangement émue par ce spectacle. J'avais cru qu'il agonisait et il était là en pleine forme devant moi. Le soulagement qui m'étreint brutalement me fit presque pleurer. Il fallait que je me rende à l'évidence, ce démon m'importait. M'importait beaucoup, beaucoup trop même. Je le connaissais à peine pourtant.
"Alice...", murmura-t-il.
Sa voix... résonnait étrangement à mes oreilles. Mais après tout ce que nous venions de traverser, cela n'avait pas d'importance. Il était vivant et moi aussi.
"Ou...Où sont les autres? ", balbutiais-je. Le choc de me réveiller allongée sur mon parquet et de voir Kelen sain et sauf m'avait fait occulter l'absence de Mike, du livreur et d'Avalène. J'éprouvais un sentiment d'irréalité, d'incertitude.
"Ne t'inquiète pas pour eux... Ils ne sont pas loin. Ils s'occupent du livreur. "
Je pris soudain conscience que je le dévorais du regard et baissais les yeux. Encore fébrile, je tentais de me relever doucement. Il me tendit la main, je l'acceptais avec reconnaissance. Son toucher était frais, inhabituel.
"Oh Alice, je suis tellement heureux de te voir ainsi. "
Tout en parlant, il repoussait des mèches de mes cheveux derrière mes oreilles. Je me sentais confusément troublée. Ces gestes si doux me laissaient mal à l'aise. J'avais été si heureuse que sa blessure ne soit pas si grave et maintenant, je sentais le besoin de m'éloigner. Je ne me comprenais pas.
"Quelle beauté!"
Il respira mes cheveux profondément.
"Je suis heureuse aussi que cette blessure ne soit pas grave, j'ai vraiment cru que tu allais..."
Je n'arrivais pas à dire le dernier mot. L'idée qu'il soit mort me retournait le cœur et le corps.
Il rit doucement, faisant glisser ses mains le long de mon cou, m'arrachant un frémissement... de dégoût.
"Mourir? Oui, sans nul doute. Une dague sacrée est un moyen efficace de se débarrasser d'un démon ou d'une sorcière, si on le plante directement dans le cœur. Mais cet imbécile de livreur a mal fait son travail.... ", cracha-t-il avec dédain, " Son possesseur a eu raison de se méfier et d'envoyer cet humain plutôt. Sinon à cette heure, il serait probablement étalé à sa place."
Je reculais. Je ne comprenais pas ce qu'il voulait dire, Kelen était la devant moi, la blessure invisible. Et semblait aller parfaitement bien. Même sa blouse était intacte.
Même sa blouse était intacte.
Et soudain, je compris
L'odeur... Son odeur était différente. Un parfum subtil et froid, comme celui d'un jour de neige.
La chaleur de sa peau inexistante, la manche miraculeusement indemne, la voix sourde, mes réactions... L'appartement trop bien rangé sans une trace de sang.
"Vous n'êtes pas Kelen! Je ne suis pas chez moi !"
Je m'éloignais brusquement.
La créature devant moi se mit à rire. Un rire méprisant, haineux.
"Et non, Alice... Il était temps que tu t'en rendes compte, je commençais à m'amuser dans ce petit numéro. Je parie que si j'insistais un peu plus, nous finissions sur ce canapé. Il a fait du très bon travail cet incube, comme toujours."
S'il avait cherché à m'insulter, il avait réussi.
Sous mes yeux, les contours de la silhouette du démon se modifièrent, se brouillèrent.
Un jeune homme m'apparut. Ses yeux étaient noirs, entièrement noirs. C'était effrayant et hypnotisant à la fois. Il possédait des cheveux d'un blond très clair, presque blanc qui lui arrivaient aux épaules en mèches désordonnées et portait un costume noir élégant malgré ses allures gothiques.
Il me fixait avec une expression sournoise et amusée.
"Qui êtes-vous?", dis-je.
Il s'approcha tandis que je reculais encore.
"Un ami voyons... Un très bon ami !"
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Un chapitre plus court cette fois. J'en suis désolée mais c'est le problème de travailler sur plusieures histoires à la fois.
Je serais tentée de vous poster ce que j'ai réalisé pour l'autre histoire mais je résiste car j'aurai l'impression d'être infidèle à celle-ci. Je suis folle, je sais!
J'essaye de faire au plus vite pour la suite mais c'est quarantaine à la maison depuis une semaine on s'échange tout un tas de petits microbes plus ou moins sympathiques :/ et de plus, nous faisons des travaux dans la chambre de mon fils, résultat j'ai beaucoup moins de temps pour écrire en ce moment.
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La Tentation d'Alice
ParanormalAlice a une famille quelque peu originale : une grand-mère qui pense pouvoir prédire l'avenir, une cousine qu'elle surnomme "tête chercheuse ", car elle retrouve tout et tout le monde et une mère fantasque qui vit de ses "potions" natures. Elles se...