Partie 1, la Rencontre.
Par une nuit aussi noire que mes pensées, je m'engouffrais dans une taverne d'aspect moyenâgeuse, ma cape portée par un vent nordique.
Située dans la vieille ville, des pans de murs entiers de ce bar prestigieux étaient encore recouverts de pierres, lustrées après des centaines d'années dans un milieu humide, qui, avant qu'on y aménage cette taverne, servait simplement de garde manger à une richissime famille de nobles anglais.
L'endroit est chic, noir de monde et gris de fumée, que les gens exhalent en riant.
Tous sont attablés à un mobilier de bois lourd et décoré. Certains jouent aux cartes, ou au billard...
Au fil de la soirée, des groupes de gens s'étaient formés, et arrivant seulement vers minuit, je n'avais que peu de chance d'arriver à mes fins.
Il est vrai que chasser du sang jeune et frais n'est pas chose aisée, les jeunes femmes innocentes ne sont plus ce qu'elles étaient. Pas plus tard qu'hier, une rouquine à la peau laiteuse et aux yeux d'un vert émeraude avait essayé de me séduire, mais même envoûté par son fin cou blanc, je décelais une jeunesse un peu trop prononcée pour me nourrir de cette gamine déguisée en femme. Oh, elle était charmante, je ne le niais pas, mais je recherche toujours des proies consentantes... Et avec l'âge de l'être. Quatorze ans, c'était un peu jeune, et j'avais dû décliner l'invitation de cette belle rouquine, qui, je n'en doutais pas, charmerait l'esprit de plus d'un mâle.
C'est pour ça que, ce soir, j'avais décidé de m'aventurer en ce lieu illustre de Londres, pour côtoyer des gens de l'ancienne noblesse défleurie de la ville, et d'y trouver, si l'occasion s'y prêtait, une demoiselle pour la nuit.
Mais ce n'est pas forcément pour ce que vous pensez !
Disons simplement que j'ai des besoins spéciaux, et que le sang des jeunes femmes en fait partie.
Cet élixir rouge est indispensable à ma vie, et plus j'en bois, moins j'en ai besoin...
Alors je bois ce liquide encore plus doux que le meilleur des vins capiteux, je bois jusqu'à me noyer dans ce tourbillon de sang et de désir.
Au début, les animaux suffisaient, mais maintenant que j'ai dépassé le millénaire d'existence, c'était un peu plus délicat.Alors, tout naturellement, le sang humain m'avait convenu, et je m'en repais quotidiennement, pour garder mon apparence de jeune homme, même si je dépassais les mille ans. Je n'irais pas me qualifier de beau, non, je n'étais pas narcissique, mais les femmes étaient souvent subjuguées par ma peau marmoréenne, mes yeux aux longs cils noirs et aux quelques tâches d'or qui recouvraient le brun chaleureux de mes iris charmeuses. Certaines étaient même étonnées de la richesse, ainsi que de la texture de mes cheveux d'un blond vénitien profond, et ne pouvaient s'empêcher de faire rouler une mèche entre leurs longs doigts fins, leur bouche dessinant un joli "O" rouge sang sur leur délicat visage. Seules subsistaient quelques femmes sur lesquelles je n'avais aucune emprise, et paradoxalement, c'était d'elles que je voulais le plus me nourrir, et dont le sang était le plus riche.
L'inaccessible attire, comme on dit.Ce soir-là, le bar contenait une multitude de femmes, mais aucune ne m'intéressait, ne serait-ce qu'un peu.
Trop vieilles, déjà mariées, trop alcoolisées, accompagnées, ou simplement pas intéressées elles non plus. Je savais reconnaître ce genre de choses, et comme prévu, ce soir ne serait pas un festin.
Peut-être la brune là-bas ?
Je m'approchais d'elle, mais au moment où j'amorçais un geste de salutation, je sentis une main se poser sur mon épaule, puis une voix féminine se glisser au creux de mon oreille.
"-Vous ne pensez pas qu'il serait préférable de laisser cette jeune femme tranquille ? Je l'ai vue arriver avec son grand frère et son mari, je ne crois pas que l'aborder serait une chose savante, à moins que vous soyez masochiste. Venez plutôt avec moi, allons nous asseoir à cette table."
Je suivis son doigt savamment orné de deux bagues en argent, très fines, et mon regard s'arrêta sur l'unique table encore vide de la taverne. Je n'avais pas encore vu le visage de mon interlocutrice, mais sa voix avec un léger accent étranger et un octave plus bas que la moyenne des femmes, me plaisait déjà énormément.
Mon vieux cœur battit la chamade, et je faillis m'étrangler avec, quand nous nous assîmes face à face, alors que je pus regarder à qui appartenait cette voix sublime.