Segment 1 sans titre

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C'était bientôt minuit. Les enfants de chacun étaient au lit depuis belle lurette et nous autres, les adultes, on était installés dans le salon. Ma gonzesse et moi d'un côté de la table, son proprio et sa douce de l'autre. Nous, les jeunes; eux, les trentenaires. Pas vieux, juste un peu moins jeunes. Tous les quatre occupés à refaire le monde, à causer de tout, de rien. Manière de dériver gentiment vers le sommeil et de finir notre soirée sur une touche sympathique de légèreté. Les sujets de conversation défilaient, et ce soir, je ne m'y sentais pas trop à mon aise. Avec ma belle, on revenait du resto, la soirée avait été plaisante, la ripaille à notre goût, et j'étais de bonne humeur; mais pas d'humeur bavarde, tout simplement. Les emmerdes de boulot de l'un, les nouveaux tatouages de l'autre... Ça me dépassait d'une bonne tête. J'avais à portée de main un Madiran année 2012 fort acceptable, ouvert un peu plus tôt, et j'étais globalement le seul à en prendre soin. Aussi j'avais tout le loisir de plonger à mon aise toujours plus vers le fond de la bouteille chaque fois que la soif se faisait ressentir. Quand venait plus ou moins mon tour d'intervenir dans la discussion, je souriais paisiblement et plongeais le nez dans mon verre. Ma façon de contribuer aux débats.

Avant le repas, j'avais déjà éclusé un Bordeaux un peu râpeux mais bien potable, aussi je commençais à me trouver " bien " comme on le dit dans le jargon. C'est peut-être pour cette raison que je ne me sentais pas d'alimenter la conversation plus que nécessaire. Si au début, j'avais encore quelques traits d'esprits à faire valoir, leur fréquence avait décliné en même temps que moi tout au long de la soirée et depuis maintenant une bonne vingtaine de minutes, je tenais le silence, me contentant de me laisser bercer par les paroles des uns et des autres. Mais, alors que l'idée d'aller pioncer se faisait de plus en plus aguichante dans mon esprit, Alex a disparu dans la cuisine pour en revenir armé d'un plat de lasagnes à moitié entamé. Il s'est posé à sa place pour commencer recta à s'enfourner cuillerée sur cuillerée dans le battoir. Ça n'avait pas l'air fondamentalement bon – encore de la bouffe pré-cuisinée qui ne vaudrait jamais l'authentique – mais mon estomac n'a fait qu'un tour dans mon ventre. J'avais faim.

Ma copine avait manifestement entendu le même appel du bide résonner, puisque le temps que je me motive à faire le trajet jusqu'aux vivres, elle était déjà parti faire chauffer deux bols de nouilles dans la cuisine. Un pour elle, et un pour moi. La bonne âme. Seulement, je savais pertinemment qu'ô combien bon il puisse être, ce maigre bol ne suffirait pas à contenter mon subit appétit. Alors, quand elle est retournée à table, je suis resté à fureter dans les placards pour dénicher de quoi calmer la fringale. Pain, fromage, saumon, biscuit... J'ai joliment drainé les réserves de tout ce qui se trouvait à portée – en plus des nouilles – avant de me décider à rejoindre les trois autres, quelques minutes plus tard, repus.

Les couleursWhere stories live. Discover now