Nouvelle

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J'entends la porte de la chambre s'ouvrir. Des pas franchissent le seuil de la pièce avant que la porte ne se referme en douceur.

Je pose mon regard sur la personne qui s'approche du lit où je me trouve.

Le doux visage de ma petite sœur entre dans mon champ de vision. Son regard innocent s'attarde sur mon corps immobile et étendu sur le matelas du lit de l'hôpital. Ses yeux marron trahissent la souffrance dans laquelle ma famille a été plongée à cause de cette situation.

Un simple accident de voiture et tout avait dérapé. Je n'ai aucun souvenir de cette perte totale de contrôle et je n'ai connaissance du contexte que grâce à ce qui m'a été raconté.

Une seule des cinq personnes qui se trouvaient dans les deux véhicules accidentés a survécu. Cependant, être condamné à ne plus pouvoir faire le moindre mouvement n'est pas survivre. À présent, seuls mes yeux ont encore la capacité de se déplacer alors que tout le reste est assisté. Alimentation, besoins de la nature, toilette, etc. Je ne peux plus rien faire de moi-même. Je suis emprisonné dans ma propre tête sans même avoir la chance de m'exprimer, de me faire comprendre. Mon père m'avait dit de ne pas perdre espoir, car un miracle peut toujours se produire. J'ai alors attendu ce miracle qui nous a tous fait espérer. Je n'avais rien d'autre à quoi me raccrocher. J'ai laissé faire les professionnels avec leurs traitements, leurs exercices, leurs massages. J'ai espéré pouvoir guérir, espéré pouvoir progressivement me relever, marcher ou même sourire, mais les médecins ne croient pas aux miracles. Lorsqu'ils m'ont finalement avoué que ma situation ne changerait jamais, j'ai cru me perdre dans un cauchemar sans fin sur lequel je n'ai aucune prise. Un de ceux dont on veut à tout prix sortir et dont il faut être secoué pour s'en échapper.

Ma petite sœur m'accorde un sourire triste. Elle ne sait sans doute pas quoi me dire. Nous ne nous sommes encore jamais retrouvés dans la même pièce sans personne d'autre depuis l'accident. Elle ne sait sans doute pas quoi en penser. À quatorze ans, ses préoccupations sont toutes autres et puis, quoi qu'il arrive, personne ne peut vraiment comprendre ce que les personnes comme moi traversent.

La colère à l'encontre de la vie qui est si cruelle pour faire subir un tel calvaire. La peine de ne plus jamais pouvoir vivre comme les autres, d'être enfermé dans un monde où l'on est seul. La culpabilité d'être la cause de la souffrance de sa propre famille, d'envier les quatre autres victimes de l'accident qui sont en paix et n'ont pas à subir cela. L'espoir de rejoindre un monde meilleur et d'être enfin libéré.

Le regard de ma petite sœur s'attarde sur les traits de mon visage avant de croiser le mien.

Que dirait-elle si elle savait qu'à présent, la seule chose à laquelle je m'accroche est l'espoir de mourir ?

Elle ne comprendrait pas. Elle ne sait pas ce que ça signifie d'être prisonnier dans sa propre tête. Personne ne sait.

Pour ne pas céder à la folie, je me rappelle chaque petite chose infime de la vie. Marcher en forêt, chanter sous la douche, respirer l'air extérieur, sentir la pluie sur sa peau ou la chaleur d'un feu, choisir une tenue pour la journée, croiser le regard des personnes dans la rue, rire de quelque chose qui est drôle, rêver d'un avenir...

Toutes ces petites choses qui ne signifient plus grand-chose à force d'être une habitude, deviennent si importantes lorsqu'on perd la chance de les réaliser. Surtout lorsque cette chance est perdue à tout jamais.

Même si je m'accroche à ce choix de partir, je ne peux pas l'accomplir. Mes choix et mes envies ne comptent plus, même si je réussis à les exprimer à travers mon regard. Ma vie ne m'appartient plus.

Un Goût de LibertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant