16. Comme un sapin de Noël

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Je regardais les larmes strier les joues d'Avalène avec fascination. J'avais la drôle d'impression d'avoir plongé dans la quatrième dimension et de débarquer dans une scène inédite. Rien de ce que je voyais ou entendais ne me semblait avoir de sens.

J'observais mon environnement. Le livreur gisait affalé contre le mur de l'entrée, une profonde (et horrible) brûlure marquant son front. Si j'avais été en pleine possession de mes moyens, sans doute que ce spectacle m'aurait soulevé le Coeur, mais tout ce que je ressentais était une profonde torpeur. Comme si mon corps et mon esprit flottaient dans un océan d'ouate.

Près de mon canapé, j'observais un moment Mike s'affairant devant un second corps affalés au sol. Des chaussures de cuir et une paire de jambes couverte d'un jean sombre...

Le visage amusé du démon blond que j'avais vu en rêve me revint en mémoire.

"Quel dommage que tu ne puisses pas sauver ce pauvre Kelen. Oh, il est en train de mourir en ce moment pour ta gouverne." avait-il dit.

"Kelen?", demandais-je d'une voix croassante. Je me relevais précipitamment et faillis m'évanouir, prise d'un malaise.

Des bras chauds et doux vinrent immédiatement à mon secours et me soutinrent. Je m'appuyais contre un torse qui sentait bon le propre. L'espace d'un instant, j'envisageais de m'y pelotonner et de m'y endormir. Il me suffirait de fermer les yeux, de me laisser aller et de ne me réveiller que lorsque tout ce foutoir aurait disparu. Le grognement de Kelen me fit oublier cette idée.

"Lâche là, foutue bestiole, ou je te fous une dérouillée", marmonna le démon qui se redressait en se tenant comme il le pouvait au canapé.

En réponse, les bras du Nahual se serrèrent un peu plus autour de moi.

"Ne m'en veux pas, démon, mais vu l'état dans lequel tu te trouves, j'avoue que je ne suis pas inquiet", s'exclama Mike, "Avant de me faire avaler mes dents, il faudrait songer à te sauver!"

Maintenant que Mike ne me cachait plus l'incube, je découvris l'étendue des dégâts. Son teint était aussi pâle que de la cendre, ses lèvres légèrement bleuies tranchaient nettement sur son visage et ses yeux fiévreux étaient marqués de profonds cernes violets. Malgré cela, il avait encore son sourire en coin aux lèvres.

J'oubliais instantanément ma fatigue et ma torpeur.

M'arrachant à l'étreinte de Mike, je me précipitais à quatre pattes vers lui.

"Merde Kelen, on dirait un zombie !", lâchais en effleurant ses joues et son cou. Je laissais voleter mes mains à leur gré, le touchant tant que je pouvais, passant mes mains dans ses mèches sombres et soyeuses. J'avais besoin de m'assurer qu'il était bien réel. Il attrapa l'une de mes mains et embrassa le bout de mes doigts.

"Mmmmh, princesse, si j'avais su qu'il suffisait de m'égratigner pour que tu me touches, je l'aurais fait moi-même bien plus tôt !", dit-il avec difficulté. Il était à bout de souffle. Même mal en point, il restait égal à lui-même, un irréductible séducteur.

Je remarquais alors son bras d'où la dague avait été extraite. La lacération suintait comme infectée, les bords en étaient boursouflés et rouges, mais le plus inquiétant était sans aucun doute ce réseau de stries noires qui s'en échappait visible par transparence sous la peau. Elles couvraient son avant-bras jusqu'au poignet et dans l'autre sens, elles dépassaient du col de son t-shirt pour couvrir son cou.

Mue par une angoisse grandissante, je déchirais ce qui restait de son haut, révélant l'étendue de cet étrange réseau veineux.

"J'ai toujours su que tu serais du genre sauvage !", dit-il avec un clin d'œil suggestif.

La Tentation d'AliceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant