Ce jour-là, il faisait beau. Beau et froid à la fois. Un matin d'hiver, comme il ne les aimait pas. Un vent glacial balayait les rues, se glissant sous les écharpes, dans les manteaux, dans les pensées mornes des gens pressés. Un ciel gris clair le surplombait, étrangement immense, et la température devait avoisiner les cinq degrés.
Il y avait certes beaucoup de raisons pour détester l'hiver, songea-t-il, pressant le pas, mais les siennes étaient toutes particulières. Voire, plus légitimes. Arrivant en vue de la prestigieuse université dans laquelle il étudiait, il croisa son reflet dans la vitre impavide d'un magasin encore fermé.
Son regard s'attarda sur le nez en bec d'oiseau, les cheveux sombres mi-longs s'égarant parfois sur son visage pâle, le visage dur rasé de près et les yeux noirs bien trop obscurs. Par-dessus sa silhouette encore jeune et ses vêtements presque classieux de punk – jean noir à chaînes déchiré aux genoux, large manteau de cuir, mitaine râpées – se superposa, comme depuis ses quinze ans, une autre image.
Celle d'un homme lui ressemblant de façon troublante. D'une façon étrangement totale, sans l'être tout à fait.
Un homme grand. Comme lui, étudiant à la fac de vingt-et-un ans.
Aux cheveux noirs courts, au nez de corbeau – tant raillé par les enfants moqueurs.
Au long manteau noir, aux habits élégants, au maintien strict, au visage déjà usé, aux yeux déjà cernés, au regard brûlant d'une flamme trop sombre le rongeant inéluctablement. La solitude, le désir de justice le dévorant avec violence.
Lui.
Lui dans une autre vie.
Celui qui s'appelait Sylvain dans celle-ci détourna la tête, fuyant celui qu'il avait été... Avant. Après. Jamais. En même temps. Il avait déjà été tenté de se faire appeler par son premier prénom mais... C'était trop douloureux, en un sens. Les très rares personnes ayant eu le privilège de le prononcer ne faisaient que creuser le vide lancinant qu'il ressentait si souvent.
C'était étrange, ruminait-il encore, pressant toujours le pas. Ce mélange de souvenirs dans sa tête. La sensation d'être et de ne pas être deux personnes. Ces interrogations incessantes. Deux vies en un corps : l'une achevée avec son lot de peurs et d'angoisses, l'autre continuant plus ou moins calmement.
Quoique, de sa première vie, ne restait qu'un certain nombre de fugitives certitudes, de fragments de mémoire. Surtout pour la fin. Les souvenirs les plus intenses, les plus insignifiants, les plus perturbants. Des noms. Des visages. Des sentiments.
Ces remémorations fantômes étaient venues petit à petit, en même temps que la certitude qu'il ne fallait surtout pas qu'il en parle. Le savoir fragmenté d'un adulte se mêlant à celui d'un enfant trouvé par tous trop silencieux, trop solitaire, trop taciturne.
Heureusement, tout soupçon fut éloigné de lui par une intelligence très vive, à laquelle on imputa tous ses défauts, tout ce qui faisait de lui quelqu'un qui n'était pas comme les autres.
Ainsi, il sut très jeune qui il avait été, les souvenirs affluant au rythme de l'âge.
C'était à ses quinze ans que les derniers lui étaient apparus. Un matin d'hiver comme celui-ci, alors qu'il somnolait, son corps et son esprit avaient été brusquement tordus par une dernière vague de souvenirs douloureux.
Ceux de l'âge adulte.
La chasse, le traqueur et le traqué qui se brouillent, omniprésent, ce parfum de sang, le froid de l'hiver, les morts murmurant sur des tables d'autopsie, le sourire d'abord doux puis violent d'un ami traître, une pièce sombre et le rictus cruel d'une proie trop sauvage, et puis, brillant dans la lumière, le canon d'un revolver.
VOUS LISEZ
Life
FanfictionC'était l'hiver - encore. Un de ces matins qu'il n'aimait pas, et qui semblait rassembler dans son ciel opalescent tous les troubles du temps, ainsi qu'une insolite question : death or life ? - OS UM, UA