CHAPITRE 1 :
Je suis celui qui n'aurait jamais dû naître
« Du calme, allons, du calme », m'exhortais-je avec sévérité. Peine perdue : il me semblait que les battements accélérés de mon cœur devaient résonner au-delà de la porte devant laquelle j'étais plantée, raide comme un piquet. Le silence dans la bâtisse, à peine rompu par le léger tintement de la pluie sur le toit, était oppressant. Un silence qui semblait devoir s'éterniser...
Un temps morose avait accompagné mon arrivée au pensionnat des Trois-Chênes. « Pensionnat des Trois-Chênes », pestais-je en moi-même, quel nom ridicule ! Je regardai autour de moi avec humeur tandis que la voiture qui venait de me déposer devant la porte d'une austère bâtisse s'éloignait en crachotant. Agacée, j'avais jeté un coup d'œil rapide sur la rue, à peine éclairée par des lampadaires clignotants. Des barres d'immeubles sinistres se déployaient de part et d'autre, semblant écraser de tous leurs poids la frêle bâtisse du XVIIIème siècle, dont l'élégance et la pureté tranchaient nettement avec les murs lépreux qui l'environnaient. « Trois-Chênes, quelle blague ! », maugréais-je en détaillant d'un œil critique le goudron et le béton de la rue : pas un seul brin de verdure ne venait rappeler le nom sylvestre du pensionnat. Sinistre ! Tout était sinistre ! J'eus soudainement terriblement envie de revenir dans la chaleur de la voiture, de faire marche arrière, de repartir à zéro. Même si cela signifiait affronter une nouvelle fois les regards inquisiteurs ou les moqueries. Même si cela signifiait lire à nouveau dans le regard de mes parents la lassitude et l'exaspération qui accompagnaient chacun de mes gestes, chacune de mes paroles. A ce souvenir, je refoulai les larmes qui me montaient aux yeux. Alors, pour ne pas céder à l'auto apitoiement, je me décidai enfin à franchir la porte d'entrée du pensionnat. Trainant derrière moi une valise brinquebalante, je débouchai dans un corridor sombre, orné de boiseries et de moulures vieillottes. La tapisserie dégoulinait d'angelots joufflus, de guirlandes de fleurs et autres mièvreries de style Louis XV, sans parvenir pour autant à égayer le couloir. Puis on débouchait dans un vestibule austère blanchi à la chaux : d'un côté, un escalier circulaire menait à l'étage. De l'autre, une porte monumentale barrée d'un BUREAU DU PROVISEUR en lettres majuscules se découpait dans la pénombre. Un rais de lumière sous le chambranle de la porte indiquait la présence du directeur de l'établissement en cette heure tardive. Je déglutis péniblement. J'avais près de deux heures de retard sur le rendez-vous qu'il m'avait fixé. D'emblée, je me faisais remarquer. Mais après tout, j'en avais l'habitude... Néanmoins, les battements frénétiques de mon cœur démentaient l'apparente décontraction que j'affichais. Haussant les épaules, je frappai trois petits coups secs. Un « entrez » glacial chuinta au travers de la porte. Horriblement intimidée, je pénétrai dans l'antre du directeur.
La première chose qui me frappa fut l'antique pendule, dont le balancier cliquetait paisiblement dans le silence oppressant. Le cadran surmonté d'une tête de bélier semblait immense, en comparaison du balancier. Les aiguilles d'or, dont les pointes s'ornaient également d'une tête cornue miniature, attirèrent mon regard comme un aimant, et je dus résister pour ne pas céder à la fascination qu'elles exerçaient sur moi.
Le directeur se racla bruyamment la gorge, comme pour me rappeler sa présence. Je levai la tête, et croisait pour la première fois les yeux noirs de M. Durand, proviseur du pensionnat des Trois-Chênes. Un regard pensif, dont la froideur était atténuée par de minuscules pattes d'oie qui striaient de fines ridules son visage sévère. Pour l'heure, il me dévisageait d'un air dubitatif, comme s'il se demandait s'il valait bien la peine de recevoir à cette heure indue une ado trempée qui s'égouttait consciencieusement au beau milieu de son bureau. Son regard inquisiteur me mit mal à l'aise, et j'imaginai ce qu'il devait voir de moi : une fille petite et incroyablement frêle pour son âge, au visage de cire mangé par deux grand yeux gris, le tout surmonté d'une tignasse d'un rouge douteux, frisants sous l'humidité. Une poupée au visage exquis, mais qui semblait avoir été sciemment grimée dans le but de dissimuler sa fragilité. Je soutins son regard, non pas avec insolence, mais plutôt comme un chien toise un passant pour évaluer ses intentions : bonnes ou mauvaises ? Pour l'heure, M. Durand semblait simplement ... découragé. A bout de forces. D'un air las, il me désigna un fauteuil devant son bureau. Précautionneusement, je m'asseyais, veillant à ne pas m'appuyer sur le dossier. Il rompit le silence :
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D'argent et de cendres
Fantasy"Peut-être aurais-je mieux fait de m'abstenir, pensais-je en repoussant de la pointe du pied le corps qui gisait inanimé dans une mare de sang. Pensivement, j'exposai mon poignard aux rayons ténus de la lune, avant de claquer de la langue avec répro...