CHAPITRE 2

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CHAPITRE 2 : 

"Ton chagrin n'est qu'une joie et ton malheur est un bonheur à côté du mal qui me ronge et me détruit"

Le Chevalier au lion, de Chrétien de Troyes


Une jeune femme dont le visage criblé de taches de rousseur était agité de tics incessants fut chargée de me mener jusqu'à ma nouvelle chambre. Je devais bientôt apprendre que Mona –c'était son nom-, était la responsable du dortoir des « Sirènes paresseuses », petit nom du quartier que j'allais partager avec cinq de mes confrères. Je réfrénai mon envie d'éclater d'un rire nerveux lorsque Mona prononça solennellement ce nom stupide. Indifférente au rictus poli que j'arborais, la responsable m'apprit que chaque chambre était occupée par deux personnes. Je devrai donc partager la mienne avec l'une de mes futures camarades, qui actuellement en cour, ne devrait guère tardée à rentrer. Il allait falloir que je fasse des efforts d'adaptation n'est-ce pas ? Après tout, c'était déjà un pri-vi-lège que de se voir accepter dans le pensionnat à mi- année.

Puis, s'arrêtant devant une porte, elle agita son trousseau d'un air important, avant d'introduire une clé dans la serrure. Elle fit mine de tourner la poignée, puis sembla se raviser : elle retira la clé et me la tendit avec solennité : j'eus le temps de voir que le porte clé était ornée d'une sirène endormie. Bucolique n'est-ce pas ? Avec un sourire auquel elle tenta d'insuffler un peu de chaleur, Mona me souhaita la bienvenue au nom de toutes les sirènes paresseuses, avant de tourner les talons et de me laisser découvrir mon nouvel environnement.

Officiellement intronisée membre des « Sirènes paresseuses » du pensionnat des Trois-Chênes donc, je pénétrai donc dans une petite chambre claire et propre située au deuxième étage du bâtiment. Deux lits flanqués de deux tables de nuit en acajou, deux petites armoires et un fauteuil constituaient l'unique mobilier de la chambre. Pas de télé, pas d'ordinateur et pas de téléphone bien sûr. Telles étaient les clauses du contrat lorsqu'on intégrait le pensionnat des Trois-chênes. Mais, si l'ameublement était plus que spartiate, l'espace n'en était pas moins envahi de plantes disséminées aux quatre coins de la pièce. Bégonias, géraniums, cactus et cyclamens se disputaient l'espace avec des ficus et des dracænas. Cette chambre était une débauche de verdure, un ilot de végétation, une réclame vivante pour jardinerie. A l'arrière, une petite porte surplombée d'un lierre suspendu donnait sur une salle de bain carrelée ornée d'une frise de sirènes hilares. Dans la baignoire d'un bleu céruléen, s'étalaient des plants qui m'évoquaient étrangement des substances hallucinogènes. Décidément, rien ne me serait épargné ...

Réfrénant un soupir, je tentais de faire bonne mesure, d'autant plus que je notais rapidement un petit détail qui me rasséréna : la chambre donnait sur un minuscule balcon. Bien qu'une gigantesque plante en encombrât la moitié de la largeur, je pus néanmoins me pencher par-dessus la rambarde, non sans faire tomber quelques feuilles. En contrebas, une cour goudronnée déroulait son asphalte sinistre à perte de vue. Un bouquet de trois chênes noueux et racornis avait survécu au milieu de tout ce bitume. Découragée, je rentrai brusquement dans la chambre, non sans écarter avec agacement quelques branches de la monstrueuse plante qui encombrait le passage, provoquant ainsi une nouvelle pluie de feuilles. Un rameau me heurta le dos, déclenchant aussitôt de douloureux élancements dans l'ensemble de mon corps. Rageusement, je flanquais un bon coup de pied dans le pot, pensant puérilement compenser la douleur. Foutue blessure, foutue école, foutue chambre... Lorsque je pénétrais à nouveau dans la pièce, je constatais que, pendant que j'observais l'étendue du désastre depuis le balcon, quelqu'un avait monté mes bagages et s'était éclipsé sans un mot. Haussant les épaules d'un geste fataliste, j'entrepris de déballer mes affaires.

D'argent et de cendresWhere stories live. Discover now