CHAPITRE 3 :
« Il est dit que le nombre des compagnons de la Table ronde s'élèvera à cent cinquante (...) Mais il vous faudra le bien choisir : un seul mauvais homme honnirait toute la compagnie ».
Robert de Boron, Roman de l'estoire dou Graal, XIIème siècle
Dorian était un garçon à l'aspect calme et décontracté. Grand mais plutôt fluet, il émanait de lui une force tranquille qui imposait un certain respect. Ses yeux d'un bleu quasi translucides vous scrutaient jusqu'au fond de l'âme, si bien que je ne pus m'empêcher de détourner mon regard avec gêne lorsqu'il plongea ses yeux dans les miens. En voyant mon embarras, il sourit franchement et me serra la main avec aplomb. Je fus surprise de constater le réseau de veines bleues qui parcouraient son poignet translucide. Fragilité et force : je décidai immédiatement que ce garçon était une énigme. Mais avant même de pouvoir approfondir la question, un autre garçon à la musculature impressionnante me saisit la main pour la serrer avec tant d'enthousiasme que je la retirai quasiment broyée. Carnys avait des yeux d'un noir profond, si bien que l'on ne pouvait pratiquement pas distinguer son iris de sa pupille. Son système pileux était également... Très surprenant. Son abondante chevelure noire qu'il avait laissé pousser jusqu'aux épaules était de la même couleur que les poils qu'il arborait sur ses phalanges.
Thétys, elle, était une très belle jeune femme : ses yeux aigue-marine surprenaient autant que ses longs cheveux d'un noir tirant sur le bleuté. Sa voix douce et musicale m'ensorcela dès qu'elle ouvrit la bouche pour se présenter et me souhaiter la bienvenue, mais la froideur de ses yeux arctiques contrastait avec ses paroles chaleureuses.
Quant à la dernière de mes camarades, je fus aussitôt frappée par l'hostilité qu'elle me manifesta. Aetna était petite, très petite même. Courte sur pattes, rondouillarde, elle m'évoquait irrésistiblement une courge trop vite montée en graines. Cette comparaison n'était sûrement pas très charitable, mais elle était renforcée par ses cheveux d'un rouge agressif qui lui tombaient sur les épaules de façon désordonnée et par son teint rubicond. Pour l'heure, ses yeux couleur châtaigne me dévisageaient sans aménité. Je lui rendis son regard d'un air de défi, agacée par son hostilité manifeste. Elle me tourna alors le dos sans plus de cérémonie. Haussant les épaules, je décidai à l'instar de mes nouveaux camarades, de prendre place devant le seul pupitre qui restait inoccupé.
A peine assise, la porte s'ouvrit à la volée, rebondissant contre la butée sous la force du geste. Les vitres tintèrent avec insistance, comme si elles hésitaient à se briser sous la violence du choc. Le brouhaha de mes camarades s'arrêta instantanément, et un silence pesant s'installa. Je ne sais pas qui je m'attendais à voir apparaître après cette entrée fracassante, mais sûrement pas une frêle vieille dame appuyée sur une canne, et qui se mouvait avec une certaine difficulté. Je jetai un coup d'œil à mes cinq camarades : ces derniers étaient figés sur leur chaise, raides comme des piquets. Je n'aurais guère été surprise de les voir esquisser un salut martial. La vieille dame devait être redoutable ! Pourtant, à l'étudier de prêt, elle ne semblait guère menaçante, avec son chignon grisonnant austère et ses habits qui fleuraient la naphtaline. Même sa voix semblait sortir tout droit d'une caricature de la sénilité. C'est d'un timbre tremblotant qu'elle s'adressa à moi :
« Au nom de tout le corps professoral des Trois-Chênes, je vous souhaite la bienvenue Séléné. Je suis Mme Schmitt, votre professeur de littérature, et j'espère que votre scolarité au sein de notre établissement se passera au mieux. (Ici, elle marqua un silence appuyé, laissant flotter un je-ne-sais-quoi menaçant qui fit se recroqueviller sur place mes camarades). Puis elle reprit d'un ton engageant : « Margueritte partagera avec vous son manuel jusqu'à ce que l'on vous en procure un ».
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D'argent et de cendres
Fantasy"Peut-être aurais-je mieux fait de m'abstenir, pensais-je en repoussant de la pointe du pied le corps qui gisait inanimé dans une mare de sang. Pensivement, j'exposai mon poignard aux rayons ténus de la lune, avant de claquer de la langue avec répro...