CHAPITRE 4

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CHAPITRE 4 :

« Hélas !Mon ami, si tu ne m'avais pas trahie, j'étais sauvée de mes peines et de mes tourments, j'aurais vécue le cours naturel de la vie, comme une femme normale, je serais morte normalement (...). Mais maintenant tu m'as replongée dans la sombre pénitence que j'avais longtemps connue, à cause de ma faute ».

Le Roman de Mélusine, Jean d'Arras, 1393


Je ne sais plus exactement lequel de mes deux parents prononça le nom de « poltergeist » en premier. « Poltergeist », ou esprit frappeur si vous préférez. Après s'être frénétiquement documentés sur le bipolarisme et la schizophrénie, mes parents furent bientôt convaincus que j'étais possédée par un esprit malveillant. J'aurais sincèrement aimé le croire, moi aussi. C'était une explication très commode pour excuser mon comportement et mes débordements. Pourtant, je ressentais au fond de moi que la raison était ailleurs, ancrée au plus profond de ma personne. Cette conviction fut renforcée lorsque mes parents décidèrent de faire appel à un exorciste. Le père O'Malley –si tant est qu'il ait réellement été ordonné par l'Eglise-, était un tartuffe, le dernier des charlatans si vous préférez. Et le mot est faible. Ce n'est pas tant son attirail tout droit sorti d'un film d'horreur de bas étage –eau bénite, chapelet, crucifix, gousses d'ail, aiguilles et branches de buis-, qui me mirent la puce à l'oreille, ni sa robe noire rapiécée et sordide, ni son visage sévère et émacié sous une tonsure de moine, c'est plutôt le ton paternaliste et mielleux qu'il employât lors de notre première rencontre, un ton fortement teinté d'une espèce d'accent traînant impossible à situer :

« Voici donc not' jeune fille ! » avait-il lancé d'un ton bonhomme en rentrant dans ma chambre vide, suivi de près par ma mère qui arborait un air anxieux. Depuis la veille, je n'avais pas changé de position. Je boudais comme une gamine lorsqu'on m'avait annoncé la venue d'un exorciseur pour chasser le malin qui était en moi. Démoniaque, c'était ainsi que mes propres parents me voyaient ! Plutôt vexant non ? J'étais donc fermement décidée à rester dans ma chambre passivement, sans rien faire qui puisse aider le prétendu exorciseur invoqué par mes parents. Lorsque le père O'Malley pénétra dans mon antre, j'étais donc recroquevillé sur mon matelas, les genoux serrés dans mes bras, le regard perdu dans le vide. Je ne daignais pas même répondre à cet énergumène, et me contentais de jeter un coup d'œil assassin à ma mère. Puis je replongeais dans mon mutisme.

Devant mon absence de réaction, le prêtre s'était avancé, et s'était penché sur moi d'assez près pour que je sente son haleine tiède qui empestait le tabac balayer mon visage. Son regard scrutateur me sondait, tentant de s'immiscer dans mes pensées. Lorsque je daignai enfin croiser son regard, l'étincelle d'ironie qui s'y alluma lorsque je constatai son accoutrement de parfait petit exorciseur dût l'irriter. Et dire que mes parents le payaient à prix d'or pour venir exercer ses prétendus pouvoirs occultes, non mais franchement ! J'avais entendu mon père pousser une exclamation outrée lorsque ma mère lui avait annoncé le prix des honoraires d'O'Malley. « Mais c'est presqu'un mois de salaire », avait-il gémi. Ce à quoi ma mère avait rétorqué que « oui, mais c'est le meilleur dans sa profession, c'est lui qui a réussi à désenvoûter Marie-Sophie lorsqu'elle a eu sa crise d'urticaire, et il s'est engagé à reverser tout le salaire perçu à des œuvres caritatives, et de toute façon que veux-tu qu'on fasse enfin Victor ! ».

Mon expression amusée lorsque j'évaluais la mise du prétendu exorciseur eut le don de l'agacer. Quoi, cette gamine dépenaillée, probablement un peu simplette, osait mettre sa crédibilité en doute ? Il soutint mon regard ironique, et nous nous évaluâmes comme deux épéistes. Finalement, il fut le premier à baisser les yeux et à susurrer d'une voix suave :

D'argent et de cendresWhere stories live. Discover now