CHAPITRE 5

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CHAPITRE 5 :


"D'eux deux il en fut ainsi

Comme il en va du chèvrefeuille

Qui au coudrier s'y prend :

Quand il est enlacé et pris

Et tout amour du fût s'est mis

Ensemble ils peuvent bien durer ;

Qui les veut ensuite désunir

Fait tôt le coudrier mourir

Et le chèvrefeuille avec lui. "


Lais de Marie de France



Le soleil se couchait ce soir-là, nimbant le ciel d'une lumière rougeoyante et ornant les nuages cotonneux d'un fin liseré d'or. Rapidement, une lune pleine et rousse prit la place de l'astre solaire, à mesure que les premiers grillons de l'été entonnaient leur sérénade nocturne. Le quartier était paisible. Il était à peine 23 heures. O'Malley et moi nous nous hasardions de plus en plus tôt dans la nuit, à mesure que je maîtrisais de mieux en mieux mes pouvoirs. Pour la première fois depuis longtemps, je croisais un groupe de jeunes. Assis au pied de la statue du maire, ils bavardaient gaiement, une bouteille de bière à la main. Heureux d'être ensembles, de partager cette tiède nuit d'été, précurseur de la fin des cours. C'est étrange, comme un pincement au cœur peut vous étreindre à mesure que des souvenirs heureux vous envahissent. Avec un choc, je reconnus parmi les jeunes mon ex, Cyril et mon ancienne meilleure amie, Marie. Je ne pus retenir une exclamation outrée lorsque je les vis se tenir tendrement par la main. Instantanément, je sentis mon humeur tourner au vinaigre. Les voir heureux se sourire béatement, alors qu'ils ne s'étaient jamais donné la peine de prendre de mes nouvelles, cela équivalait à une trahison en bonne et due forme. Et ne m'encourageait pas à éprouver une quelconque indulgence à leur égard. Non contents de m'avoir purement et simplement snobés durant tous ces longs mois de descente aux enfers, ils s'étaient en plus permis de sceller leur trahison en nouant une relation intime ! Judas va ! Imprudemment, je m'approchais machinalement, pendant que ces réflexions amères affluaient et que sentiments de regrets, de tristesse et de colère se succédaient en moi à la vitesse grand V. Je vis les visages de Cyril et Marie afficher une stupeur comique lorsqu'ils me reconnurent. C'est avec une consternation à peine dissimulée qu'ils me dévisagèrent de la tête au pied. Cheveux très courts d'un rouge délavé douteux, visage aux traits amaigris, tee-shirt et minijupe noirs, bottes montant jusqu'aux genoux, ah, décadence et déchéance ... Où était passée la reine de beauté du lycée ? Cette fille adulée à la peau parfaite et aux cheveux de Barbie, à la tête d'un groupe de midinettes, caricature vivante de ces petites pestes de pom-poms girls américaines que tout le monde craint et jalouse, était-ce bien la fille au look décadent qui se tenait devant eux ? Difficile de retrouver dans ce squelette ambulant les traces de la « Séléné-ma-beauté » – c'était mon petit nom au lycée : pathétique, je sais, mais je l'adorais-, que j'avais été. Quant à l'espèce d'épouvantail tonsuré qui me couvait des yeux comme une mère poule, on ne pouvait pas dire qu'O'Malley rehaussait mon image de marque.

D'argent et de cendresWhere stories live. Discover now