Je suis né sans sexe. Bien sûr, je dispose d'un pénis pour pisser, mais c'est sa seule utilité. Dieu a oublié de me pourvoir de cette machine à plaisir. Je n'ai aucune attirance pour les femmes et les hommes me laissent de marbre. L'âge n'y change rien non plus. Les adultes me rebutent, les prépubères m'exaspèrent.
Ma vie jusqu'à maintenant ne détenait aucune saveur. L'ennui habitait mon quotidien. J'aurais voulu jouir des plaisirs charnels. J'aurais aimé connaître la danse sensuelle des corps réciproques. Mais un manchot ne peut pas jouer au bras de fer.
Je ne possède pas de testicules. J'ai le sac, mais il est vide de ses billes. Résultat, mon métabolisme ne sécrète pas de testostérone. Plus jeune, je devais prendre des comprimés pour que je puisse continuer à me développer. J'étais la risée de mon école. On me surnommait le « Sans couille ». Cependant, ce n'était pas le pire. Le pire était de voir mes égaux s'épanouir dans la sexualité, alors que moi, mon quotidien m'apparaissait comme un pain sans levain, plat et fade.
Ce fut le jour où je découvrais le plaisir de la viande que tout changea. Il faut expliquer que je provenais d'une famille végétarienne. Je n'avais jamais goûté de la nourriture qui pouvait saigner. Je ne pouvais pas manger d'aliments venant d'êtres mouvants. Je devais me contenter d'ingurgiter de la vie sans mouvement, d'existences sans conscience.
Alors que j'emménageais seul dans mon premier appartement, je profitai de ma récente liberté d'adulte pour me rendre dans le steak house le plus près. J'étais guidé par la main du destin. La voie du boucher devenait mon nouveau chemin. Je commandai un bifteck de douze onces, sans à côté. Bleu de cuisson. Tout comme un puceau, je ressentis l'orgasme immédiatement. Tout y avait contribué. La texture voluptueuse de la chair emplissait ma bouche et me chatouillait l'intérieur de la joue. Le sang coulait chaud et abondant dans ma gorge. Cette dernière frémissait de délectation. Le suc titillait ma langue. Tellement que je sentais des picotements partout. Tous ces phénomènes s'assemblèrent en une immense force grimpant vers mon cerveau. Le centre des plaisirs s'emballa à un point que je lâchai un grand râle devant toute la salle. Je ne me préoccupai pas du jugement d'autrui. Tout ce qui comptait, c'était la vive émotion, là et maintenant.
Par la suite, ce que je désirais le plus était de renouveler l'expérience. J'avais essayé le bœuf, je devais tout déguster ce qui était muni de pattes, de nageoires ou d'ailes. Mais j'évitais dorénavant les restaurants. Ceux-ci camouflaient trop la viande avec des sauces ou des épices. Je voulais me délecter du vrai, de l'authentique.
Et puis, ce ne fut pas assez. J'en arrivais à envier le boucher de couper les membres de mes chéris en tranche. Je souhaitais tout vivre. Je me suis procuré une arbalète. Les fusils abattent trop rapidement, ils enlèvent toute subtilité. Je me suis aussi acheté un couteau. Car j'aspirais à jouir de la chair aussitôt l'animal blessé. J'allais réaliser l'expérience ultime, celui de savourer la mort à pleine dent.
Maintenant en forêt, je me dissimulais derrière des buissons guettant ma nouvelle union. Ma patience fut mise à rude épreuve, mais elle a fini par payer. Un cerf se délecta des pommes pourries que je lui avais laissées comme appât. Je pris mon temps. Je visai le cœur. Lorsque la flèche partit vers sa destination, j'appréhendais la pénétration. Je devins une extension du projectile. Comme si mon esprit se téléportait dans celle-ci. L'entrée dans le corps me transporta dans un état second. La bête tomba par terre. Elle agonisait. Tandis que moi je renaissais. Je sortis mon couteau et je lui découpai un morceau. Je l'insérai dans ma bouche. Je fusionnais avec celui que je considérais maintenant mon amant. Amant d'un jour, souvenir pour toujours.
Je répétai l'expérience des milliers de fois. Différentes espèces, même sensation d'ivresse. Ensuite, j'augmentai le danger pour accentuer le frisson dont je ne trouvais plus la puissance suffisante. Je m'attaquais aux prédateurs. Quand cela ne fut pas assez, je chassais les animaux menacés. L'interdit ajoute sans aucun doute un goût épicé.
--
Et me voilà, dans la nouvelle phase de ma concupiscence. Inégalé, d'une grande transcendance. Jamais je n'ai vécu une telle union.
Des personnes comme elle sont rares. Des êtres voulant se faire dévorer. Elle aussi a compris que l'ultime accouplement est l'ingestion. Je l'ai rassuré, je vais l'avaler au complet. Son cœur d'abord. Ses organes génitaux ensuite. Et pour finir son cerveau, la résidence permanente de la conscience. Elle va changer d'adresse. Elle habitera mon métabolisme dorénavant. Chaque morceau que j'ingère devient une nouvelle étape vers notre félicité. Le gras de ses fesses me caresse la gorge comme de la soie. Le son croustillant de ses oreilles enchante les miennes. Son sang me regorge de vitalité.
Je suis persuadé que la sexualité n'apporte pas un si fabuleux enivrement. Lorsque la chair rose et douce pénètre mon gosier, je sais qu'elle se lie à moi indéfiniment. Dans mon estomac, je sens la vie grouiller en moi. Je me transforme en quelque chose de plus qu'un homme. Je suis réuni de nouveau avec l'humanité. Mais surtout avec elle.
Je peux finalement coïter. Qui veut me rejoindre dans la volupté ? Qui désire s'unir à moi... pour l'éternité !
VOUS LISEZ
Le carnophile
HorrorHistoire prosaïque inspiré d'un fait divers... très particulier. Ne pas lire en mangeant!