« une main de brume »

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Lorsque Victor passa pour la première fois le portail du collège Sainte Marie des Sonnailles, nombreuses furent les réactions dans la cour. Réactions féminines, bien entendu. Des plus grandes de troisième aux petites nouvelles de sixième, toutes se retournaient plus ou moins discrètement sur son passage, devenant roses comme des pivoines.
Visiblement inconscient de l'effet qu'il produisait sur ces demoiselles, Victor passa nonchalamment la main dans ses cheveux bruns et traça tout droit jusqu'au premier banc, ignorant totalement le groupe de garçons qui semblait le toiser d'un air méfiant. Le garçon s'y laissa tomber, et resta là, les yeux dans le vague, à attendre la sonnerie.

Il ne fut pas seul bien longtemps : une jeune fille de quatrième, blonde aux yeux noisette et sans doute plus hardie que les autres, osa s'approcher et lui glissa :
-Euh...Salut ! Je peux... ?
Pas de réponse. La jeune fille s'assit donc à côté de lui.
-Comment tu t'appelles ? Je ne t'ai jamais vu avant. J'imagine que tu es nouveau ? Tu es en quatrième ?
Devant le silence obstiné et embarrassant du garçon, elle se sentit obligée de poursuivre :
-Moi, c'est Margot. Je suis une ancienne de Sainte Marie, alors si tu as le moindre problème, la moindre question, n'hésite surtout pas !

Devant ce visage lisse, sans aucune émotion apparente, elle se sentit à la fois effrayée et irrésistiblement attirée. Elle ressentit une envie, oppressante, de saisir sa main. Elle batailla pendant d'interminables secondes avec cette sensation, ne comprenant pas ce qui lui prenait, mais ne put résister. Elle lui prit la main.
Il se dégagea alors violemment, se leva, sans aucun regard pour elle, et partit. Margot resta seule sur son banc, aussi désemparée que perplexe. Pourquoi ce garçon lui faisait-il cet effet-là ? Pourquoi, soudainement, avait-elle eu envie de saisir sa main ? Cela n'était jamais arrivé auparavant, avec aucun autre garçon...
Ce qui la chiffonnait le plus chez ce garçon, c'était sa main. Lorsqu'elle l'avait prise, elle l'avait sentie froide et sans vie. Plus étrange encore, elle ne semblait avoir aucune consistance. Une main de brume.

La sonnerie, retentissant alors, la tira de ses réflexions, et, troublée, elle rejoignit son groupe d'amies. Bien évidemment, elle se fit taquiner :
-Alors, Margot ! T'es déjà allée voir le nouveau !, fit Samia.
-T'es pas un peu folle ?, rit Louise.
-Laissez tomber, les filles ! Elle a toujours été la plus entreprenante avec les garçons !, plaisanta Isabelle.
Margot les laissa dire. Elle était encore profondément secouée par ce qui venait d'arriver. Qui était ce mystérieux nouveau, si attirant, si silencieux, si étrange ? Et que signifiait cette main inconsistante ?

Les larmes des limbesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant