« une ombre au fond des yeux »

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La journée de cours se déroula normalement; Margot était en train de rassembler ses affaires pour rentrer chez elle lorsqu'on lui tapota l'épaule. Surprise, elle se retourna. C'était le nouveau, cependant il semblait avoir adopté une attitude différente de ce matin. Il avait quitté sa mine revêche et semblait vouloir lui parler.

Zut ! Je dis quoi ? Ahhhhh, vas t'en ! Je vais devenir toute rouge !

-Euuuh...salut !, fit-elle, embarrassée qu'il vînt la voir.
Elle se maudit aussitôt car, à défaut d'avoir rougi comme une pivoine, elle avait buté sur le seul mot qui constituait sa phrase.
Malgré la platitude de sa réponse, il lui sourit et s'exprima d'une voix franche et enjouée :
-Salut ! Moi, c'est Victor ! Je suis désolé pour ce matin, tu as dû te dire que j'étais horrible de t'avoir ignoré...
-Oh, non non, bégaya Margot en faisant un effort surhumain pour prononcer une phrase normale, pas de souci. Tu es en quelle classe ?
Il haussa le sourcil droit en une moue qu'elle jugea absolument craquante, paraissant faire un immense effort de concentration pour répondre.
-Quatrième deux. A côté de la tienne, visiblement. Je voulais savoir... quelle ligne de métro tu prends pour rentrer chez toi ?
-La neuf, répondit elle, prise de court.
Il sembla encore méditer un instant. Elle attendait la suite.
-Eh bien, ça tombe bien : la neuf, c'est ma ligne aussi. Ca te dérangerait si on rentrait ensemble ?

Margot n'en crut pas ses oreilles : le plus beau garçon de quatrième, et probablement du collège, lui proposait de rentrer avec elle.
-On pourrait discuter un peu... je m'en veux sincèrement pour ce faux départ, tout à l'heure. J'aimerais qu'on soit amis..., dit-il, en regardant ses ongles.

Assez direct, c'est qu'il est entreprenant ce garçon.

Elle fit mine d'hésiter quelques secondes, purement pour la forme :
-Euh...eh bien...il n'y a pas de problème. Mais c'est juste que normalement, je rentre avec mon amie Louise. Ca te dérange si on rentre avec elle ?

S'il te plaît, dis que non, dis que non...

Il parut alors frappé par quelque chose. D'un air soudainement très embarrassé, il expliqua :
-Oh, non, c'est pas vrai ! Je suis un imbécile...
-Qu'est ce qu'il y a ?, demanda Margot, inquiète.
-J'avais complètement oublié...que ce soir j'ai tennis avec mon frère. Je suis vraiment désolé...c'était une proposition malhonnête, hein ?

Tellement...t'inquiète, je m'en remettrai peut-être dans trois ans.

Devant son silence déçu, il ajouta :
-Excuse-moi, vraiment. Je dois y aller, je suis déjà en retard. Ce sera pour une prochaine fois ?
-Oui, soupira Margot. Pas de souci, je comprends. A demain, alors !

Le soir, elle rentra avec Louise comme d'habitude. Sauf que cette fois-ci, elle n'avait pas le cœur à écouter son joyeux bavardage. Elle se sentait malheureuse comme les pierres à cause de son trajet avorté avec le garçon. Elle ne pouvait se le cacher : elle était éperdument amoureuse de Victor. Comme la totalité des filles du collège, forcément. Elle n'avait échangé que quelques mots avec lui, et déjà son cœur battait plus fort quand elle pensait à lui. Le doux son de sa voix résonnait dans sa tête, son visage parfait y occupait la plus grande partie. Ses grands yeux verts, perçants, avaient quelque chose d'à la fois magnifique et inquiétant. Ils étincelaient dans sa tête, elle en avait le cœur à l'envers. Il y avait aussi une ombre au fond de ses yeux couleur d'émeraude.
« L'ombre cache quelque chose. Ce garçon est bien trop parfait pour être tout à fait normal. »
C'était cette ombre qui intriguait Margot ; toute amoureuse qu'elle était, elle ne pouvait s'empêcher de réfléchir. Victor n'était pas un garçon comme les autres, et pas uniquement par rapport à son physique. Elle en était certaine. Il était différent.

Et Margot devait trouver pourquoi il était différent.

Les larmes des limbesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant