Chapitre 1 Nuées Noires

1.2K 20 5
                                    

« Face aux flots tortueux des ténèbres, les cœurs s’effondrent,

L’agonie gronde… Et bondit sur une âme errante, et innocente…

« Ouvre la porte… disait la voix.

« Avant la fin, avant la mort…

Ici, où tout est sombre où tout est noir. »

Ce soir d’été, le vent ne répandait pas la douce mélodie des criquets ni les hululements dérisoires des hiboux. Sans force, il se brisait sur les arbres resserrés de la forêt. Des traits pourpres dessinaient des ombres singulières sur les écorces et le sol décharné. Habituellement, le pied des arbres débordait de recoins sombres où évoluaient serpents et petits animaux, et où bivouaquaient à l’occasion, chasseurs et gros gibiers bêlants.

Mais ce crépuscule n’offrait rien de tel, sinon le silence et l’immobilité, la fulgurance d’un instant où chacun retient sa respiration avant d’expirer. Un être humain, figé, attendait patiemment quelque chose au centre d’une clairière. Ses traits creusés par la tragédie n’exprimaient rien sinon la lassitude de la marche qui l’avait mené jusqu’ici. Les pétales d’une fleur de Lys jaillissaient entre ses doigts recourbés, tantôt caressés par la clarté fuyante des nuées, tantôt débordés par des ombres avides.

Après avoir rabattu son capuchon beige sur son visage aux rides éparses, un deuxième homme surgit des bois dans son dos.

— Si tes pensées continuent d’osciller ainsi, même après tout ce temps, c’est que les enseignements divins n’ont pas été efficaces.

— Combien ces enseignements divins ont-ils coûté à vos fidèles, maître de cérémonie ? observa l’autre, aigrement.

L’intéressé poussa un son à mi-chemin entre l’amusement et le mépris.

— Ta langue audacieuse mériterait de finir comme ornement. Estime-toi heureux d’avoir été élu par l’Émissaire pour acquérir le pouvoir suprême.

— Je sais que vous avez déjà organisé des sacrifices par le passé, maître de cérémonie.

— Et nous n’avons toujours pas rencontré d’anges ; quel dommage !

D’un léger coup de pied, l’élu dévoila un os entre les herbes drues. D’un coup d’œil, il l’évalua comme un tibia humain d’environ trente centimètres. Cependant, sa résignation n’en fut pas le moins du monde ébranlée. Il avait attendu ce jour toute sa vie, comptant sur ses doigts les années, ressassant de sombres pensées. Ce soir, il serait prêt. Quand le soleil sombra définitivement, le maître de cérémonie alluma tous les flambeaux situés en arc de cercle autour de trois pierres mystérieuses.

Peu à peu, les ombres dévalèrent les flancs de la colline où les bois se perchaient, masse dévorant le halo des torches. Le manteau noir de l’élu ondula face à un souffle vif et froid. Les herbes sous ses pieds disparurent, happées par une brume soudaine. L’élu resserra frileusement son manteau sur ses épaules.

Brusquement, une silhouette se détacha du voile… Et l’Émissaire se matérialisa au cœur d’une rafale tourbillonnante. Sa lourde cape de néant balaya les herbes maladives. Son arme d’ébène brandie brillait sinistrement sous les étoiles.

— Élu, êtes-vous prêt ?

— Je le suis.

Le maître de cérémonie laissa échapper un rire tordu avant de brandir un long bâton racorni comme s’il s’était agi d’une relique sacrée. De trois coups, il martela le sol.

Les Protecteurs d'Andalénia / La Danse du Lys tome 1 la Dame en BlancOù les histoires vivent. Découvrez maintenant