Nature Morte

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Encore une journée de plus. Encore une journée passée à éplucher des dossiers et des pages de journaux, à recenser les enlèvements d'enfants dans la région de Colombus, dans l'Ohio. Depuis qu'il avait été promu inspecteur de police en 1998, c'était la première fois que Thomas Cantrell enquêtait sur une affaire comme celle-ci. Plus de soixante dix nouveaux nés disparus en deux ans. Pas d'indices, pas de traces sur des vidéos de surveillance, les enlèvements survenant toujours dans des maisons perdues dans la campagne. Le rayon de recherche était pourtant énorme, on avait déclaré des disparitions sur plus de 70km à la ronde. Pourtant, malgré deux ans d'enquête, aucun suspect n'avait été confondu.

Thomas avait mal à la tête, et avait du mal à garder les yeux ouverts. Il alluma l'auto-radio et abaissa la fenêtre côté passager. L'air frais de ce soir de printemps s'engouffra à l'intérieur de son Range Rover et le réveilla. Il était 19 heures et le soleil disparaissait déjà presque sous l'horizon. Les derniers rayons orangés qui perçaient le feuillage des arbres environnants donnaient au paysage un air de photographie. Les fleurs recommençaient à bourgeonner après l'hiver particulièrement rude qui venait de passer. Thomas détestait cette période de l'année. Tous les ans, il préparait les mouchoirs et les sprays nasaux et tentait de vivre normalement. Il était allergique au pollen depuis tout petit, et avait toujours réussi à éviter la campagne. Jusqu'au jour où il avait rencontré Helen, sa femme, qui l'avait persuadé de déménager en dehors de la ville ( persuasion aidée de tenues sexy particulièrement légères ). Arrêté à un feu, il sortit un tissu de sa poche et éternua violemment dedans. Jetant un bref coup d'œil au contenu de son mouchoir, il renifla et repartit. Il poussa un soupir de soulagement quand il rentra sa voiture dans le garage, sa journée était terminée pour de bon.

Sa maison était le seul endroit où il se sentait bien au printemps. C'était aussi le seul endroit où il n'éternuait pas. Les règles étaient strictes : pas de fleurs dans la maison. Pourtant, il n'arriva pas à dormir cette nuit. Atlas se tenait pourtant tranquille et ne faisait aucun bruit. C'était un labrador. Thomas n'en voulait pas mais la magie de persuasion d'Helen avait eu raison de lui. Depuis que ces enlèvements avaient commencé et qu'il avait été chargé de l'enquête, Thomas avait du mal à se sortir son travail de la tête. Chaque nuit, alors que seule la respiration de sa femme perçait le silence, il gardait les yeux ouverts sur le plafond, à se repasser les images de ces parents éplorés qui pleurent leur enfant. Qui désespèrent plus les jours passent, qui perdent espoir pendant que les fleurs s'ouvrent. Que pouvaient bien devenir ces gosses ? Peut-être avaient ils été enlevés pour être vendus à de riches couples en mal d'enfants, ou à des réseaux pédophiles. Cette dernière pensée lui retourna l'estomac. Thomas se leva, et descendit dans la cuisine. Il était 4 heures du matin. Il remplit un verre d'eau, le vida d'une traite et s'installa devant la télé, Atlas couché à ses pieds. Il ne se rendormit pas cette nuit là.

A peine était-il arrivé au bureau que le commissaire lui sauta dessus : << Bonjour Cantrell, n'enlevez pas votre veste, vous repartez. On a reçu un nouvel appel, une famille de fermiers. Leur fille de 6 mois à été enlevée cette nuit. Manson à déjà prit leur déposition ce matin et on a une équipe qui fouille la campagne environnante. Essayez de voir ce que vous pouvez trouver là bas. Tenez, c'est leur adresse. Bonne journée Cantrell.>> Le commissaire Garett lui avait tendu un papier froissé, et était retourné dans son bureau sans même le regarder. Thomas éternua et ressortit du commissariat. Il entra dans sa voiture et sortit son mouchoir en tissu pour se moucher. Foutu pollen. Il resta un moment immobile, les mains sur son volant, les yeux dans le vide. Les images des enfants abusés, violés repassèrent dans sa tête. Il ferma les yeux et inspira longuement l'air climatisé de son Range Rover. Il enclencha le contact et démarra.

La ferme était perdue au milieu des champs de maïs. C'était une ferme classique, construite en bois, certainement au début du XXe siècle. Sa couleur rouge vif permettait de la repérer à des kilomètres. Elle était composée d'une grange plutôt délabrée, de deux silos à grains dans le même état et d'un enclos à vaches. Seule la maison au milieu paraissait encore en bon état. Thomas sortit de sa voiture, éternua violemment et jura contre le vent et contre le mal de tête qui naissait dans son crâne. Ce lieu était un enfer pour lui. Des kilomètres et des kilomètres d'arbres, de plantes, de fleurs, et tout autant de pollen charrié par le vent.

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