La tisseuse et les ténèbres

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Les étincelles de son fer à souder formaient une gerbe brûlante qui jetait des ombres enflammées sur le visage de la jeune mécanicienne, très concentrée sur son travail. Elle le reposa, elle ôta ses lunettes de protection et s'essuya le front d'un revers de la main. Il faisait chaud dans l'atelier où elle travaillait, dans ce bocal cuivré où s'allumaient les reflets ardents de flammes. Alianora secoua son poignet pour le détendre, puis saisit l'une de ses clés à molettes et dévissa un boulon abîmé pour le remplacer par un neuf.

Alianora avait perdu toute notion du temps. Ça aurait bien aussi bien pu faire des heures qu'elle travaillait sur l'araignée tisseuse que des jours. Mais elle ne s'inquiétait pas, Jack avait dit qu'il reviendrait la chercher quand il se ferait tard.

La jeune mécanicienne s'assit sur ses talons et contempla son ouvrage, satisfaite. Quatre des huit patte de l'araignée étaient comme neuves. Jack lui avait transmis l'ordre de Lady Fenaghty de restaurer entièrement l'automate, même si certaines parties ne lui semblaient pas nécessaires à la production de soie. Alianora n'avait pas songé à poser de questions, cela lui semblait normal de ne pas laisser un travail seulement à moitié achevé. Les finitions ne sont pas nécessaires mais inévitables.

Elle s'étira un instant, ankylosée par sa longue immobilité, avant de se remettre au travail. Mais alors qu'elle travaillait à ôter une soudure bâclée sur la cinquième patte, elle aperçut son reflet dans la surface polie du corps de l'arachnide. L'espace d'un court instant il lui semblait y voir une autre. Puis, un peu surprise, elle observa plus attentivement son reflet. Ses joues semblaient s'être un peu creusées et avoir perdu les rondeurs qu'elles gardaient de l'enfance, ses lèvres lui donnaient l'impression d'être plus charnues tandis que la ligne de sa mâchoire paraissait plus affirmée. Enfin, c'est ce dont elle se rendit compte après un examen approfondi car au premier regard elle s'était cru simplement vieillie, une jeune femme plutôt qu'une adolescente... Elle cligna des yeux, tentant de se persuader que c'était dû à l'arrondi de son miroir improvisé, ou à ses mauvais yeux...

Alianora secoua la tête et, oubliant bien vite l'incident, reprit son travail minutieux. Elle s'était maintenant attaquée à la tête de la tisseuse, lassée des pattes, et remplaçait ses rouages grippés. Quand elle eut fini, ses doigts protestaient d'avoir tenu ses outils si longtemps, les étincelles de son fer à souder avait rougi la peau de ses avant-bras, son dos lui faisait mal à force de se baisser et de se tordre pour atteindre certains endroits et les muscles de ses cuisses se récriaient contre la station accroupie qu'elle tenait depuis... Depuis combien de temps d'ailleurs ? Alianora cligna des yeux, eut bien du mal à les rouvrit et étouffa un bâillement. Elle jeta un coup d’œil à la porte. Jack l'avait-il donc oubliée ? C'est alors qu'elle remarqua le papier plié que quelqu'un avait glissé sous le battant. Elle se leva en ignorant le craquement de ses genoux et alla le ramasser. Elle eut des difficultés à déchiffrer les lettres tracées élégamment à la plume et dû s'y reprendre à plusieurs fois. Elle se frotta les yeux. La fatigue la faisait toujours loucher plus que d'habitude.

« J'aurai du retard. Attendez-moi où vous êtes, mais vous pouvez cesser de travailler.

Jack » lut-elle.

Cela l'étonna que l'homme eut une écriture si soignée, mais après tout, pourquoi pas... Elle avait aussi remarqué le -e de « attendez » rajouté en petit et son -s transformé en -z, comme si Jack avait commencé par la tutoyer avant de se reprendre... Mais Alianora n'y prit pas plus garde que cela.

Elle reposa la missive et ses yeux dérivèrent vers l'araignée. Oh, après tout, ce qu'elle faisait là elle n'aurait pas à le faire plus tard, alors quitte à rester dans la Machine...

Sans plus de tergiversations, elle reprit ses outils et son travail. Son attirance pour l'araignée était semblable à celle qu'elle avait ressenti en approchant de l'oiseau créé par sa mère...

L'œuvre d'une vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant