- Mademoiselle Carbery ? s'exclama quelqu'un, incrédule.
Elle reconnut la voix de Jack et un pâle sourire étira ses lèvres.
- Oui, c'est moi.
Sa voix à elle était rauque et enrouée.
- Depuis combien de temps suis-je dans cette pièce ? hasarda t-elle, tout en ne voulant pas vraiment connaître la réponse.
- Six jours.
Alianora s'étrangla. Six jours ! Ce n'était pas possible, comment avait-elle pu perdre la notion du temps à ce point ?
- Le Don ensorcelle lors de son utilisation, surtout s'il est comme cela aspiré... expliqua Jack.
- Comment savez-vous cela ? voulut-elle savoir.
L'homme la regarda avec une intensité qu'elle sentit malgré sa cécité, puis lui répondit d'une voix tremblante.
- Parce que moi aussi j'y suis rentré dans cette pièce, et j'ai bien failli y mourir... Mon Don n'était pas assez puissant et l'araignée a été à deux doigts de me tuer en l'aspirant.
Alianora ne dit rien. Elle avait deviné la suite.
- Je n'ai même pas vingt ans... avoua Jack.
Elle entendit le sanglot dans sa voix qu'il tentait de réprimer. Elle s'approcha, tendit sa main et rencontra celle de l'homme. Elle la serra tandis que des larmes se mettaient à couler de ses yeux aveugles, mettant un goût salé sur ses lèvres. Elle eut l'impression que l'homme pleurait aussi mais elle ne put en être sûre.
- Moi aussi, j'étais enthousiaste en rentrant. Pendant que je travaillais, je ne me suis rendue compte de rien, continua Jack. Je me suis évanouie et quand je me suis réveillé, on m'avait sorti de la pièce et j'étais sur un lit d'hôpital.
- J'ai eu les yeux abîmés, expliqua Alianora, et les médecins ont prédit que je perdrais la vue à trente ans... C'est seulement parce que les ténèbres se sont substitués à la lumière des lampes que j'ai compris.
Ils se turent un moment, car ils n'avaient plus besoin de mots. Ils partageaient la même souffrance et la même détresse... Ils ne s'étaient pas lâchés la main.
- On devrait sortir. Je ne sais pas ce que Lady Fenaghty ferait si elle te savait sortie.
Alianora acquiesça en silence, pourtant elle ne bougea pas. Elle réfléchissait. Elle sentait qu'elle était à deux doigts de découvrir un autre secret, la dernière clé du problème, mais celle-ci continuait de lui échapper.
Elle se souvint de l'attraction qu'elle avait ressenti devant l'oiseau mécanique sur les étagères de Lady Fenaghty, semblable à celle de l'araignée tisseuse. Pour le premier, elle savait que c'était dû au Don de sa mère qu'elle y décelait mais pour la deuxième...
La vérité lui apparut avec la force d'une certitude.
Sa mère n'avait pas été tuée par un loup qu'elle avait fabriquée, mais elle bel et bien avait subi le sort auquel sa fille avait échappé de justesse. L'araignée avait aspiré toute vie de son corps pour nourrir le sien. Et c'était donc aussi la trace de son Don qui appelait Alianora dans l'arachnide métallique...
Mary était morte en donnant ses années de vie à la tisseuse....
... En les donnant à la Machine....
... À la ville....
... Pour que ses habitants survivent.
Si personne ne réparait l'automate qui dormait dans la pièce voisine, la soie qui servait de filtre pour dépolluer l'air et l'eau extérieurs cesserait d'être produite, et le poison envahirait Rivevaux. Tous seraient condamnés sans aucun espoir de survie.
Alianora sut que si elle n'y allait, elle s'en voudrait jusqu'à que le gaz la tue à son tour.
La mécanicienne n'avait jamais laissé l'un de ses travaux inachevés, elle n'allait pas commencer maintenant alors que de cela dépendait la vie de centaines de personnes.
Non, elle n'avait pas le choix.
Elle avait suivi les traces de sa mère en pénétrant dans la Machine, et elle les suivrait jusqu'au bout...
Son seul regret était de ne jamais pouvoir tenir sa promesse de raconter à Will ce qu'elle avait vu à l'intérieur de la Machine... Mais peut-être était-ce mieux ainsi.
Son regard aveugle croisa celui de Jack, et il y lut sa résolution.
Le cœur d'Alianora ne battrait jamais par amour, elle le savait. Il n'était pas capable d'un sentiment si humain. Tous ceux qui possédaient le Don étaient en quelque sorte des automates que personne n'avait élaboré ; comme si leur propre corps était leur première création, comme si le premier cœur auquel ils donnaient vie était le leur. Et ce cœur mécanique ne s'affolait pas non plus à l'approche de la mort. Un automate ne se rebelle pas contre les ordres qu'on lui donne, et la mission de Jack et d'Alianora était de mourir pour que les autres survivent.
Comme si toute leur vie ne tendait que vers ce sacrifice.
Comme si chaque battement du métal les y précipitait.
Deux cœurs mécaniques allaient s'arrêter pour que la ville ait un futur. Ils n'allaient pas perdre la vie, mais la donner aux autres. Ils continueraient à vivre à travers elle et l'araignée qui la protégeait. Alianora allait réaliser son rêve inavouable, celui de faire partie de la Machine.
L'homme et la femme se tournèrent vers la porte encore entrouverte.
Main dans la main, ils entrèrent une deuxième et dernière fois, sans une hésitation.
Et voilà la fin de cette histoire... j'espère que vous aurez pris autant de plaisir à la lire que moi à l'écrire :) Bonne continuation, et n'hésitez pas à laisser un commentaire !
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L'œuvre d'une vie
Kısa Hikaye(Nouvelle steampunk) Dans une ville que seule la Machine protège de la pollution extérieure, certaines personnes possèdent un Don : celui de donner vie à un être mécanique. Alianora, une jeune mécanicienne en fait partie. Un jour, elle est conviée à...