Gaston revint le lendemain, impatient de voir ce gâteau parfait, et fut surpris de trouver la jeune femme encore en train de cuisiner. Il comprit qu'elle n'avait pas bougé de là en voyant qu'elle portait toujours la même robe brune que la veille.
« N'avez-vous donc pas dormi ?
— Je n'en ai pas le temps, lui expliqua-t-elle.
— C'est impensable ! s'exclama Gaston. »
Il avança d'un pas, se permettant d'entrer dans le lieu sacré en toute impunité. Blandine s'arrêta pour le regarder se diriger vers elle, estomaquée.
« Que faites-vous ? bégaya-t-elle quand il attrapa sa main et en retira la grosse cuillère en bois qu'elle tenait.
— Vous devriez prendre une pause. »
Gaston poussa délicatement Blandine vers la sortie de la cuisine.
« Retirez donc ce tablier et allez vous laver, lui dit-il. Je m'occupe de nettoyer la cuisine. »
Il fut si convaincant que Blandine ne put faire autrement que dénouer le tablier de sa taille et le lui tendre. Il s'en empara. Elle ne bougea pas.
Ils se dévisagèrent un instant de cet air crédule. Lui, attendant qu'elle s'en aille. Elle, n'ayant pas encore assimilé qu'on lui ordonne une chose aussi absurde.
« Qu'attendez-vous ? Allez-y ! »
Elle n'osa le contredire. C'était un homme, après tout. Bien que méfiante, elle s'éloigna et alla chercher quelques habits propres dans son armoire.
Quand elle eut fini de se laver, elle trouva Gaston confortablement installé dans le salon. Il semblait s'intéresser aux photos souvenirs de ses parents qui trônaient au-dessus de la cheminée.
Il releva le regard pour observer Blandine et sourit en la voyant avec de nouveaux habits et les cheveux mouillés. Il l'invita d'un geste de la main à s'assoir sur un des fauteuils de son propre salon. Elle fit, se tenant le dos bien droit comme sa mère lui avait appris, et attendit.
« Comment vous appelez-vous ?
— Blandine.
— Dîtes-moi Blandine, quelle est cette étrange histoire de gâteau parfait dont vous parliez ?
— Si l'on crée le gâteau parfait, l'âme sœur viendra pour que vous puissiez lui offrir.
— C'est absurde ! Qui vous a mis cette idée en tête ?
— C'est ainsi que ma mère a fait. »
Gaston regarda à nouveau les photos qui représentaient une femme brune assez ronde et un homme grand munit d'un chapeau de paille. Tous deux arboraient un sourire radieux.
« Où sont vos parents en ce moment ? demanda Gaston.
— Mon père est partit il y a de cela plusieurs mois à la ville pour y vendre sa marchandise mais il n'est pas encore revenu. Ma mère est morte il y a peu.
— Vous m'en voyez navré.
— C'était une pâtissière talentueuse.
— Je suis certain que vous ne l'êtes pas moins.
— Je ne suis même pas capable de créer le gâteau parfait.
— Peut-être devriez-vous vous reposer un peu. Vous travaillerez mieux ensuite.
— Je ne sais pas. Il faut encore que j'aille faire des courses et que je fasse une nouvelle pâte. »
Il réussit à la convaincre de s'arrêter pour aujourd'hui en lui promettant qu'il irait faire ses courses dès le lendemain matin et il put rejoindre son village l'esprit plus léger. Cette étrange rencontre lui avait permis de penser à autre chose qu'à ses problèmes et ce n'était pas pour lui déplaire.
Ainsi, dès l'aube du lendemain, Gaston se leva et alla acheter tout ce que Blandine lui avait demandé. En chemin, il en profita pour poser des questions aux villageois de Bonbourg à propos de la jeune femme.
La plupart avait pris un air horrifié, choqué même, en l'entendant prononcer le nom de la "sorcière". Cependant, un fermier accepta de lui parler.
« Vous parlez de la p'tite de Marty ? Et comment qu'j'la connais ! Elle m'achète des œufs et du lait toutes les semaines.
— Que savez-vous à son propos ?
— J'connaissais surtout sa mère, Marty. C'tait ma cliente la plus fidèle. Elle était t'jours de bonne humeur et trainait tout l'temps sa p'tite avec elle. C'tait la meilleure pâtissière sur toute la vallée, t'jours là pour ses clients, même quand son mari n'était pas là. Vous savez, il était presque t'jours absent, son mari, mais c'tait une femme forte la Marte. J'ai cru jusqu'au dernier moment qu'elle battrait c'te fichue maladie.
— Mais ils s'aimaient, non ?
— Oh que oui ! Ils n'étaient pas bien riches mais ils s'aimaient, j'peux vous l'assurer.
— Savez-vous comment ils se sont trouvés ? J'ai entendu dire qu'il s'agissait d'une histoire de gâteau parfait et d'âme sœurs.
— Jamais entendu parler de c't'histoire. Tout c'que j'sais c'est qu'il était prêt à tout pour venir à sa boutique. Il proposait aux villageois d'aller leur acheter leur pâtisseries à leur place rien qu'pour aller la voir. Et puis un jour, ils se sont mariés. »
Gaston remercia l'homme puis s'en alla vers la maison de Blandine. Cela ne le surprit pas de voir que la jeune femme était déjà en cuisine malgré l'heure hâtive.
« Depuis quand êtes-vous debout ? la questionna-t-il en entrant.
— Monsieur ! Vous êtes déjà là ?
— Je me doutais bien que vous seriez déjà levée, têtue comme vous l'êtes. »
Il posa les œufs et le lait frais sur la table. Blandine le remercia avant de se remettre à la tâche. Il l'observa avec curiosité.
« J'ai une question pour vous, dit-il. Comment pouvez-vous créer un gâteau parfait sans y mettre de l'amour ?
— Mais j'y mets de l'amour.
— Comment ? Puisque vous ne connaissez le destinataire... Vous ne pouvez aimer une personne qui vous est encore inconnue. »
Elle réfléchit un moment, ne sachant que répondre à la question du jeune homme.
« S'il s'agit de mon âme sœur, je ne peux que l'aimer, répondit-elle finalement. »
Devant tant de détermination, Gaston sourit. Il savait que quoi qu'il dise, elle aurait une réponse. Néanmoins, il trouvait cet acharnement naïf touchant. Il décida donc de ne plus déranger la jeune femme qui s'appliquait de son mieux.
Arrivée l'heure du déjeuner, elle lui prépara une bonne soupe et du pain pour le remercier d'avoir fait ses courses. Elle fit plusieurs gâteaux – dix au moins – et Gaston la regarda faire sans un mot.
Tous ces mets lui semblait des plus appétissants mais aucun ne satisfaisait Blandine qui recommençait son œuvre inlassablement. Une telle passion du détail ne pouvait que laissait le garçon admiratif.
Gaston dut finalement partir en début d'après-midi car il devait aider son oncle à ratisser son champ. Le gâteau parfait était toujours irréalisé mais la conviction de la belle ne cillait. Cependant, le jeune homme lui fit promettre qu'elle ne négligerait plus sa fatigue ni son hygiène.
Il ne revint que deux jours plus tard, convaincu que, cette fois, le gâteau serait prêt. Quelle ne fut pas sa surprise quand il trouva la jeune femme toujours dans sa cuisine.
« Vous n'avez donc toujours pas terminé ? s'exclama-t-il. »
Elle se tourna vers lui avec un large sourire sur le visage.
« Je viens juste de finir. Voici le gâteau parfait ! »
VOUS LISEZ
Le gâteau parfait
RomansaLes rumeurs allaient bon train dans le petit village de Bonbourg où il se disait qu'une sorcière résidait. Jour et nuit, quiconque passait devant sa maison pouvait entendre des bruits étranges s'en échapper. Que pouvait-elle bien faire ? Personne...