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« Mademoiselle Aliénor Tilleuls ?

- C'est moi.

- On m'a chargé de vous remettre le dernier carton. Je vous le pose dans l'entrée ?

- S'il vous plait. »

Une fois le déménageur parti, je me retrouve seule dans ce petit studio de la banlieue de Sydney. Il est constitué de deux pièces, un grand séjour adjacent à la cuisine et d'une salle de bain plutôt spacieuse. Certes l'appartement de ma cousine n'a rien à lui envier, mais au moins je suis chez moi.

L'après-midi étant déjà bien avancé, je décide de me faire couler un bain et de déballer les cartons au petit matin. Mes pauvres sandales volent à travers la pièce, ma veste en cuire atterrit miraculeusement sur le lit bientôt rejointe par mon sac. 

Je m'applaudis, fière de mon lancé.

Pendant que je laisse la baignoire se remplir, j'observe mon reflet dans la glace. Mes traits sont tirés par la fatigue, mes joues rougies par l'effort et mon teint pâle n'arrange en rien. Mais le pire, reste mes cheveux. Ma tignasse rose ne ressemble plus à rien, elle est emmêlée et sent la poussière. Je soupire et plonge littéralement dans le bain, éclaboussant mon idiot de chat qui a eu la bonne idée de me suivre.

J'explose de rire. Son pelage gris lui retombe devant les yeux, il ressemble à une serpillière en fin de vie. 

Après avoir ronflé une bonne heure dans le bain, j'enfile mon super pyjama Bob L'éponge et allume la radio. Etant une vraie nullité en cuisine écouter de la musique pendant que j'essaye de faire quelque chose de mangeable, me donne l'impression que je fais peut être les choses bien. [Mettez la vidéo]

Mes fesses se tortillent au rythme de la chanson, mes bras zigzaguent et mon lait se verse par accoups dans mon bol de Kellogg's.

Le repas en main, la bouche pleine je tente de reproduire la chorégraphie. Mes pieds frappent le sol, je tourne en rond, mes hanches se balancent.

« I tlold chou howmboch,

   U shan't touch tchis

   Cheeeaaayy ! »

J'avale de travers, des céréales à moitié mâchées tombent de ma bouche, mon petit orteil cogne contre un carton, je sautille sur un pied pour tenter de calmer la douleur.

« Espèce de... »

Je pousse un cri, perds l'équilibre et m'effondre tel une baleine échouée sur le parquet. Je gémis de douleur avant d'observer les dégâts. Mon repas est fichu, il y a du lait de partout. Je me relève difficilement et part chercher la serpillière, soudainement moins enjouée. Je soupire. Au moins, quand j'étais chez ma cousine on nettoyait ensemble. Quand elle a su que j'avais décroché du boulot, elle s'est empressée de me jeter dehors.

Dans la hâte j'ai trouvé un petit studio pas loin de l'agence de photographie qui m'a engagée, mais avoir des responsabilités ne s'avère  pas être aussi sympathique que ce que j'avais prévu.

Épuisée, je prends Oscars dans mes bras et m'affale sur le lit. Je ferme les yeux, le ronronnement du petit animal lové sur mon ventre me berce.

Quand soudain, un crissement nous fait sursauter tout les deux. Quelque chose bouge. Je serre plus fort Oscars, morte de peur. Avec appréhension je me lève, cherchant la  source du bruit.

Nouveau grincement. J'avale difficilement ma salive. Ne me dites pas qu'il y a des souris... On m'a pourtant garantie que non.  Je pousse un cri, le cadre accroché au mur bouge tout seul. Je ne comprend pas ce qu'il se passe.

« Les fantômes ça n'existe pas. » Je répète cette phrase inlassablement pour essayer de me calmer mais rien à faire, mes jambes trembles de peur. 

« P...Papi. C'est toi ? »

Pour toute réponse, des murmures s'ajoutent au mouvement frénétique du tableau. Pourquoi faut-il que ça m'arrive à moi ? Je me roule en boule sur le sol : position fœtal activée. Je relève la tête. Aie des pensées positives Aliénor.

Mais alors que j'allais me lever pour appeler les secours, quelqu'un éternue. Je me retourne automatiquement vers Oscars qui me regarde innocemment.

« Y'a quelqu'un ? »

Pas de réponse. Je me précipite sur le tableau et essaye de le décrocher du mur.  Alors que je tentai de l'arracher, un cri de douleur retentit. Je me fige et  regarde derrière le cadre. Il est relié à une sorte de mécanisme qui s'enfonce dans la cloison, sans doute ce qui lui permet de bouger. Et alors je comprend. Quelqu'un le faisait bouger.

« Euh, vous m'entendez ? Y'a quelqu'un ?

- Vous pourriez... Reposer ce tableau ? Demande-t-il d'une voix étranglée. 

Je le raccroche et aussitôt je discerne ses pas, son souffle rauque... J'entends tout, comme si nous étions dans la même pièce.

- Elle m'a pété les doigts la conne !

Je sursaute. Grossier personnage. 

- Mais je comprend pas... Pourquoi vous avez fait ça ?

- Bon écoutez Whitney Huston, on a un grave problème d'insonorisation. J'entends absolument tout ce que vous faites, tout comme vous entendez tout ce que je fais. Et c'est pas la peine d'appeler le proprio, on est pas dans le même immeuble et ça se trouve on est même pas dans le même arrondissement.

Je rougis. Alors il a écouté ma reprise de « U can't touch this », ma chute lamentable, tout. J'essaye d'apaiser la situation.

- Mais on va trouver un arrangement, on trouvera des horaires, on...

Il me coupe.

- Et pour pisser vous avez des horaires ?

Pour appuyer son argument, il tire la chasse.

- De toute évidence nous allons devoir cohabiter. Si on fait des efforts chacun de notre côté alors on y arrivera. On va trouver une solution.

Il rit jaune.

- C'est pas la peine de commencer à t'installer Whitney, tu craqueras avant d'avoir déballé tes cartons. »

From the other side of the Wall [EN PAUSE] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant