From the other side of the Wall [EN PAUSE]

Deux

       Avez-vous déjà parlé à un mur ? Moi oui, mon voisin.

Tellement borné, si insupportablement bruyant. Je n'ai jamais été une personne agressive ou même du genre à me disputer pour des bêtises. Mais là, la guerre des voisins a officiellement commencé.

Mon merveilleux et fabuleux voisin ayant décidé d'arranger les accords de sa guitare toute la nuit, je m'étais promis au milieu de cette torture auditive, que je lui ferais payer le matin même. 

S'il veut jouer à celui qui craque en premier, nous allons jouer.

Au lever du soleil, alors que les rayons orangés commencent à réchauffer mon salon de leur douce lumière, je mange machinalement mes céréales. Des cernes jusqu'aux pieds, le cerveau enfariné je tente de réfléchir correctement. Aujourd'hui est mon premier jour de travail à l'agence de photographie Delios. Le stresse me gagne.

Pourtant ce matin, je n'ai pas le temps de penser au combien je suis heureuse d'avoir décroché du boulot. Non, ce matin je pense à la manière dont je vais lui rendre la pareille. Je ne partirais pas d'ici, il craquera en premier.

Alors que je sors de la douche, je remarque de la poussière au sol. Un rire diabolique s'élève de ma gorge. J'ai trouvé.

« J'espère que tu aimes le ménage  connard. »

Une fois prête à partir, je défais un carton. Celui de l'aspirateur.

Avec une satisfaction infinie j'appuie sur le bouton pour démarrer l'appareil. Le son aigu envahit la pièce et bientôt j'entends un cri de rage de l'autre côté du mur.

« Éteins ça ! » Il hurle.

Pour toute réponse, je claque la porte d'entrée et m'en vais travailler un sourire victorieux accroché aux lèvres.

Arrivée devant l'agence, je suis émerveillée. La devanture n'est qu'une immense baie vitrée qui laisse entrer la lumière du jour. La profonde pièce est d'un blanc immaculé, au centre se dresse une table basse en verre. D'élégants sièges noirs trônent sur les côtés, de nombreux cadres et photos en tous genre sont exposés sur les murs. Je m'avance timidement dans la pièce, à la recherche de la secrétaire qui semble avoir abandonné son bureau. Une petite dame en tailleur m'interpelle.

« Bonjour Mademoiselle. Je peux vous renseigner ?

- Oh. Euh, oui bonjour. Je bafouille. J'ai rendez-vous ce matin avec Monsieur Delon. Je suis la nouvelle employée.

Elle ouvre grand la bouche.

- Bien sur ! Mademoiselle Tilleuls, c'est bien ça ? 

J'hoche la tête affirmativement. Aussitôt elle se met à taper frénétiquement sur son clavier.

- Monsieur Delon va vous recevoir. Si vous voulez bien vous avancer, c'est la porte du fond. »  M'annonce-t-elle avec un sourire encourageant.

D'un pas feutré je me dirige vers la petite porte gris métallisé. Alors que j'allais frapper, la porte s'ouvre en grand sur un homme d'une cinquantaine d'années. Ses cheveux grisonnants sont  relevés en un brushing parfait, ses joues creuses accentuent ses rides mais ne lui enlève pas pour autant son charme. Un grand sourire étire ses lèvres.

« Ah, la voilà ! Entrez donc mademoiselle.

Je baisse la tête et me faufile dans le bureau. Une fois installés, le stresse s'empare de mon estomac. Que les Hunger Work commencent.

- Alors, Mademoiselle Tilleuls. J'ai cru comprendre que vous étiez une grande passionnée de photographie ?

- En effet.  

Il se frotte le menton.

- Bien. Ce que je vous propose c'est qu'aujourd'hui vous fassiez une journée d'adaptation. Vous vous familiarisez avec notre matériel, vos collègues et par la même occasion je vois de quoi vous êtes capable. Ça vous convient ?

- C'est parfait, je vous remercie. »

Une fois l'entretien terminé, je découvre mon petit bureau. Très cosy. Je n'ai pas besoin de plus. Comme prévu l'adaptation n'est pas facile, du nouveau matériel difficile à apprivoiser, des collègues à aborder... N'étant pas quelqu'un de très à l'aise avec les autres, je décide de seulement leurs faire un petit signe de tête suivi d'un vague bonjour. Après tout, le travail ce n'est pas pour se faire des amis. J'installe mes affaires et me mets au boulot.

Après plusieurs heures à travailler sur un projet qui me tenait à cœur, je reçois un message de la concierge de l'immeuble. 

De Madame Pomfrech :

Vous avez laissé votre aspirateur  en marche.  

Amusée, je la remercie et lui répond que ce matin j'étais bien trop angoissée pour mon premier travail et que par mégarde j'ai dû oublier de l'éteindre.

J'espère que l'autre imbécile a bien souffert pendant mon absence. Ça lui apprendra à m'empêcher de dormir.

Quand je quitte le travail, la nuit tombe sur Sydney. La ville est joliment éclairée et comme si les habitants se préparaient à ce que le calme arrive, les voix se font moins fortes, les pas moins pressées. Épuisée je traîne des pieds jusqu'à mon appartement. Je vais retrouver ce bon vieux lit, Oscars... Mon unique envie : m'effondrer sur mon lit douillé et faire une nuit complète.

Lorsque j'ouvre la porte, Oscars m'accueille en venant se frotter à mes jambes. J'éteins l'aspirateur, brûlant après avoir passé la journée entière à fonctionner. Une fois que j'ai donné à manger au petit félin, je balance mes chaussures et me jette sur le matelas moelleux. Je caresse l'oreiller avec ma tête, aux anges. 

  « Oh, tu m'as manqué. » 

  « Pas toi. »  Me répond une voix grave.

Je sursaute et tape des pieds sur mon lit. Il est toujours là.

  « Je peux pas avoir une discussion tranquille avec mon lit ?! »

Il renifle.

« J'étais sûr que t'avais pas de mec. »
         

« Crétin. »

 « Imbécile. »

 « Sale moche. » Je tente.

Il ricane, visiblement amusé.

 « Ça tu peux pas le savoir, Machine. »  

 « Machine ? »

Il se déplace et je sens le mur bouger. Il est là, adossé à la paroi. D'une voix rauque il répond : 

  « Ton aspirateur m'a donné des idées. » 

Et alors je comprends. C'est une menace. Comme la nuit dernière quand j'étais au plus mal à cause de sa guitare, de nombreuses idées plus machiavéliques les unes que les autres lui ont traversé l'esprit aujourd'hui. Ce voisin si détestable s'apprête à riposter et il va riposter fort.