- Monte dans ta chambre !
- Mais, maman ! Attends, j'ai pas fini, je termine juste...
- Monte, et c'est la dernière fois que je te le répète. Sinon...
- Sinon quoi ?
- Sinon, tu... Sinon, je... vais me transformer en méchante maman !
Carmen, cinq ans et demi, lance un regard interrogateur à sa mère et se lève. Lorelei, quatre ans, décolle les yeux de son écran trente secondes et replonge. Arielle affiche un visage inexpressif. L'aînée commence à prendre la direction de l'escalier.
Au même moment, Arielle entend un déclic dans son esprit en éternel bouillonnement. Le mot méchante s'aligne d'abord avec le mot sorcière, puis avec le mot peur. Oui, le mot peur. Elle a mit le doigt dessus. Cela fait des mois, des années, qu'Arielle essaie de dompter ses deux filles. Elle a tout essayé : la patience, le coin, le placard, les cris, le silence, Montessori, la discipline positive, la fessée - seulement deux fois, enfin, par mois ou par semaine - l'interdiction des écrans pendant au moins une demi-heure, etc. Mais rien n'a fonctionné jusqu'ici.
Elle a évidemment lu dans Education Magazine, dans la salle d'attente de l'homéopathe pour les otites de la cadette, de l'orthoptiste pour la grande, ou de l'ostéopathe pour ses migraines, qu'être parent, ce n'est pas seulement aimer, c'est aussi de l'autorité. Cela coule de source, mais comment l'appliquer ?
Comment il s'appelle déjà le pédopsychiatre qui passe tout le temps à la télé ? Rufus Marco, enfin du style. Lui et ses confrères ont toujours l'art de vous faire croire, le temps d'une émission, qu'on la tient enfin, la bonne méthode. Le pire c'est qu'ils ont du la tester avec succès sur leur propre progéniture gâtée, leur foutue technique. Mais l'espoir de reprendre les rennes retombe toujours comme un soufflet raté juste après la première expérimentation. Jamais leurs conseils n'ont donné de résultats probants sur ses chipies.
Oh, elles ne sont pas bien méchantes, les deux petites ! Pleines de vies, débordantes d'imagination, en bonne santé, belles, intelligentes, leur mère a tout pour être comblée. Le seul hic, c'est qu'Arielle ne parvient jamais à prendre le dessus. Cela fait cliché de dire cela, mais elle se fait littéralement mener par le bout du nez. Elle n'a jamais le dernier mot. Autorité niveau zéro.
Alors, elle a décidé d'apprivoiser le mot peur. A qui on obéit ? A celui qui nous impressionne, qu'on redoute ! Cela paraît tout bête, mais elle n'a jamais eu l'idée de faire peur à ses enfants. Une maman est forcément gentille, douce, idéalement autoritaire mais avec une main de fer dans un gant de velours. Elle a tourné la question dans tous les sens. "Pourquoi moi quand j'étais une petite fille, j'obéissais à mes parents mais eux ne m'écoutent pas ?" Est-ce une question de perception ? Une question d'époque ? Elle ne se voit pas acheter un martinet quand même, d'ailleurs cela ne se vend plus. Ah si, après vérification, sur Ebay.
Enfin, bref, voilà ce sur quoi elle va commencer à travailler, elle vient de me l'annoncer au téléphone : comment inspirer la peur, au moins un minimum à ses filles, sans être méchante. Voilà, sujet de psycho, vous avez deux heures pour plancher. Je dis cela parce que moi, quand j'étais étudiante, au dernier partiel de psycho... Bon OK, on n'est pas là pour parler de moi, revenons à Arielle.
Carmen, qui a gravi deux marches, opère un demi tour complet et tente :
- Mais, pourquoi Lorelei elle doit pas monter maintenant aussi ?
Arielle garde son masque de fer. Moteur en route pour tester la nouvelle méthode, synapses en plein régime, tout cela pour accoucher de :
- Lorelei, j'ai à lui parler.
Oulà, là c'est moins bien. Il va falloir improviser une nouvelle fois. Heureusement, le prétexte est tout trouvé. Lorelei ne s'est pas lavé les mains après le dessert : fondue au nutella. Le canapé blanc, celui qu'Arielle et Teddy ont acheté juste avant la naissance de Carmen, est assorti à la robe, aux bras, aux jambes et aux cheveux de Lorelei, collection les 101 dalmatiens.
- C'est pas juste, Caca, à elle, tu ne lui a pas fais faire de douche !
On est d'accord, les aînés, ce sont des brouillons, des premiers jets. C'est en les mettant au monde que les parents apprennent leur rôle de parent. Et la première erreur qu'il font souvent, c'est le prénom. Trop long, pas assez original d'après la belle-mère, voire sujet de brouille avec les meilleurs amis jusqu'à la majorité des rejetons pour cause de plagiat. Là, Arielle et Teddy n'avait pas pensé au diminutif naturel, faute classique. Ils se sont rattrapé pour la deuxième. Enfin, Lolo, quand même.
N'empêche, Arielle a tenu bon. Toute la soirée elle a joué à incarner la peur sans heurt, la peur calme, la peur tranquille. Elle les a couchées sans une réclamation, après seulement trois histoires déjà lues trois cent fois. Et puis c'est tout. Ensuite, ma copine Arielle a pu s'asseoir dans son canapé, après l'avoir provisoirement recouvert d'une serviette Goodbye Kitty. Et elle vient de me raconter tout cela, que la peur, elle y croit.
- Maman, je peux pas faire dodo, il y a un monstre dans ma chambre !
Bon, OK, on en reparle demain ?
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Mère déchaînée
Chick-LitSi vous aussi vous en avez, cette histoire pourrait être la vôtre. Vous croirez peut-être que c'est la mienne. Mais non, ce que je vais vous raconter, c'est ce qui est arrivé à ma copine Arielle... Il y a déjà un bout de temps, Arielle a rencontré T...