Forgettable

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Cela avait pourtant si bien fini.

Peut-être trop bien. Il fallait forcément que quelque chose vienne tout gâcher.

Être heureux était-il donc impossible ?

Il y avait songé pendant si longtemps ! Persuadé d'être enfermé dans une boucle infinie de tristesse, d'insomnies et de lassitude. Chaque soir, il guettait la lune artificielle en se demandant si on laisserait demain exister. Combien de fois avait-il vécu la même scène ? Combien de jours avaient dû être recommencés ?

Il lui avait été si difficile de faire semblant d'être heureux. S'il était parvenu à faire bonne figure pour son frère, enchaînant blague sur jeux de mots, affichant un air toujours enjoué et veillant sur lui... Il n'avait pu que succomber à cette latente apathie qui le laissait éveillé la nuit pour l'assommer le jour.

Pas d'espoir.

Il ne se risquait aux confidences qu'auprès de Grillby, qui l'écoutait toujours avec attention en lui fournissant son indispensable dose de ketchup. L'impassible et enflammé gérant était probablement l'une des seules personnes de l'Underground à en savoir autant sur les timelines, via les divagations tristes du squelette.

Parler soulageait un peu ce dernier – ça, et la main apaisante de son ami sur son épaule, lorsque le flot hésitant et confus de ses paroles venait à se tarir.

Mais, au final, combien de fois lui avait-il parlé de tout cela ?

Et il s'en maudissait. Toujours en silence.

Il en venait parfois à être trop épuisé pour aller toquer à la porte au fond des bois et échanger quelques hasardeuses blagues avec la vieille dame des lieux. Evidemment, il ne pouvait s'empêcher de s'en vouloir pour cela.

Et puis...

Son arrivée.

Une frêle silhouette traversant la forêt. Fidèle à sa promesse, il ne l'avait pas détruite – espérant ne pas s'en vouloir par la suite. Il ne l'avait pas tant aidée que cela non plus. De toute façon, il était trop apathique pour faire quoi que ce soit.

Bien que...

Peu à peu, sa lourde lassitude avait fini par se teinter d'une pointe de curiosité à l'égard de cet être tombé si bas. Il avait quelque chose qui détonnait. Il semblait savoir à l'avance qu'elles allaient être leurs paroles, leurs actions. A leur rencontre, une sorte de sourire joyeux avait éclairé son visage. Comme s'il le reconnaissait.

Un doute avait fini par m'immiscer en lui. Il avait accordé de plus en plus d'attention à l'enfant égaré.

Ce dernier avançait sans hésitation dans son long périple, l'air... déterminé. La lassitude avait fini par délaisser un peu le squelette, qui en profita pour se replonger dans ses livres de physique quantique, surveillant l'intrus de loin.

Il ne lui fallait guère longtemps pour comprendre que l'arrivant maîtrisait la timeline. Mais il lui manquait une preuve incontestable.

Il le surveilla attentivement, interagissant de temps en temps avec lui, jugeant ses agissements. L'enfant ne frappait jamais, comme baignant d'innocence, se montrait d'une patience sans égal ; et pourtant, il avait dû affronter bien des êtres déterminés à le tuer. Qui pouvait rester impassible face à cela ?

Un jour, il retourna à la porte au fond des bois, frappa doucement. Une réponse lui parvint aussitôt. Puis, une question.

« Aurais-tu vu un enfant humain ? »

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