Chapitre 2 : Bourgeon de passion

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La neige n'est plus qu'un souvenir tandis qu'apparaissent quelques bourgeons au bout de mes branches et que de jeunes tiges poussent tout autour de moi. 

Juste devant, assis sur un vieux banc vert à la peinture écaillée, j'aperçois une crinière blonde et un porc-épique brun. L'une à sa tête posée sur l'épaule de l'autre et lui a un bras autour de sa taille. Silencieux, ils ne parlent qu'avec leur regard pétillant et leur sourire éclatant. Ils échangent un baiser. Ils baignent dans le bonheur. Puis ils se quittent, le cœur battant.

Terry est de nouveau devant moi, il cherche parterre, quelque chose du regard. Puis il s'approche d'une petite parcelle de verdure et cueille des fleurs, sans une once de remords. Finalement, cet humain a ses failles, comme ses semblables; il détruit la nature. La jolie blonde, vêtue d'un jean et d'un pull couleur ciel qui ravive son regard argent, ne tarde pas à arriver. Elle accourt, il pose son bouquet sur le banc. Elle saute dans ses bras et il l'a fait tournoyer telle une enfant. Il s'embrassent longuement. Il lui tend les fleurs et elle a un sourire qui fait trois fois le tour de son visage. 

Ils se chamaillent, se réconcilient, tels deux bébés renards, s'enlacent et tout recommence. Ceci durant tout le mois qui suit. Les bourgeons deviennent fleurs, l'herbe pousse et verdoie, le soleil réchauffe la terre encore froide, les oiseaux piaillent, les écureuils entassent des noisettes à l'intérieur de mon tronc. C'est le retour à la vie, la nature figée se remet peu à peu en mouvements. Le jour décline, le ciel se pare d'argent, la chouette hulule. Soudain, j'entends un proche hurlement. Cependant, avec mes cent quatre vingt cinq années d'expérience, je perçois la nuance avec le dernier cri qui a déchiré la nuit, cet hiver. Cette fois-ci, c'est de la joie. Une louve blanche sort du bois voisin et s'approche de moi. Dans son regard sombre se lit un bonheur aussi intense que la douleur de la dernière venue se recueillir sur mes racines. Elle dépose délicatement la boule de fourrure blanche sur l'herbe, à mes côtés. Le petit pelage remue et j'entrevois un museau rose et deux billes noires semblables à des perles de jais. Il s'approche de sa mère, à la recherche de lait. Aujourd'hui est une joyeuse nuit et la brise fraîche détache deux de mes bourgeons. Ils tombent chacun sur la tête de ces fascinantes créatures. Le temps est suspendu tandis que tète le louveteau. Puis ils s'ébrouent, mes petites fleurs voltigent et ils partent doucement, comme deux ombres...

Ce matin, un vent puissant amoncelle de gros nuages au dessus de mes branches. Une goutte s'écrase sur moi, puis une autre, suivie d'un multitudes. La pluie ruisselle de toute part, s'enfonce dans la terre et la transforme en boue.L'eau coule sur mon tronc et ramollit mon écorce; elle me lave et me revigore. Ce jour-là, les amoureux ne sont pas venus. Il faut dire que l'humain aime son petit confort personnel et il n'est pas question de se mouiller un orteil. Je regrette la vanité, l'absence de générosité et le goût de l'argent, de l'espère humaine. A vrai dire, je regrette beaucoup de choses à leur sujet. Et l'amour n'excuse pas tout...

Cette pluie dure quatre jours. Et pendant ce temps là, je n'aie la compagnie que d'escargots, de limaces et de quelques grenouilles sautant de joie. 

Le bleu profond du plafond est éclatant aujourd'hui. Nos deux tourtereaux accourent main dans la main. "Chiche de monter dans c'vieil arbre, commence Terry en donnant un coup de coude à sa copine. 

- Flemme, en plus j'vais me salir les mains.

- Bichette, dis plutôt que ta la frousse et que t'y arriveras pas !"

La jeune fille, piquée au vif, s'élance vers moi, attrape l'une de mes branches et se hisse sans difficultés à deux mètres du sol. Elle continue, confiante, toute en chatouillant mes branchages. Arrivée en haut, elle crie : "Alors, c'est qui le trouillard maintenant ?!

- Attends voir !" Il commence son ascension mais plus lentement et tremblant que Céleste, bien qu'affichant une mine décidée. 

"Pas mal", se moque la jolie blonde alors qu'il la rattrape. Une fois leurs quatre pieds à terre, Terry s'exclame : "J'ai une idée !". 

Il sort un couteau suisse de sa poche et reviens vers moi. Subitement, la peur s'empare de moi. Mon appréhension se confirme lorsqu'il engage sa lame dans mon écorce et la découpe lentement. Des lambeaux de mon enveloppe tombent sur le sol. Ma sève coule entre ses doigts; il l'essuie négligemment sur son tee-shirt. 

"C'est parfait..." souffle Céleste en voyant "C + T = ♥", gravées en lettres brûlantes sur mon tronc meurtri. Il s'embrassent longuement et s'éloignent, me laissant souillé et furieux. La frivolité humaine frise la bêtise, j'exècre la nature niaise de ces créatures, surtout lorsqu'elle fait souffrir la nature. Aimer, oui mais pas au détriment des autres êtres vivants. De plus, être témoin de l'amour ne me dérange guère, au contraire, je trouve même ça très enrichissant, mais le subir, hors de question.

Le jour suivant, le ciel terne reflète mon humeur et le dégoût que me procurent les lettres incrustées en moi. La fille s'assoit sur le banc vert à la peinture écaillée et ouvre un gros manuscrit intitulé... : "Vie et savoir de la nature" ! Je suis stupéfait ! Elle me paraît tout à coup admirable tandis que le souvenir de la sépulture du louveteau me reviens en mémoire. Puis je me rembrunis à la pensée de mon écorce arrachée sans état d'âme. 

Comment peut-elle à la fois se cultiver, prouvant ainsi son intérêt pour la nature et la dénigrer dans ses actes ? Néanmoins, je réfléchis sur ce que j'ai pu voir d'elle. Certes, a t-elle aidé à ma détérioration mais elle a été très noble envers une animal défunt, elle s'instruit sur la faune et la flore. Elle est aussi amoureuse et j'estime qu'éprouver ce sentiment, chez l'humain, est quelque chose d'important (malgré ces travers). 

Finalement, ce n'est sans doute pas une mauvaise personne...

Je pense (mais que vaux la théorie d'un vieil arbre comme moi ?) que l'amour est une sorte de fleur éternelle qui se nourrirais de larmes de rosée matinale, qui grandirais au soleil mais ne flétrirais jamais. Une rose aux pétales de sang.


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