Le 14 mai

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  • Dédié à Kev
                                    

Il y a de cela longtemps… En fait, non. Ça fait 10 mois, mais des fois, ça semble comme 10 ans, ou 10 secondes. Je revois son visage et ses yeux verts, perdus dans le vague.

Je suis tombée sur eux par hasard. J'avais manqué l'autobus et pour passer le temps, je me suis mise à leur parler. Pour eux, mon nom n’a jamais eu d’importance. Ce n’était pas un truc important. Avec eux, j’étais Red. Il ne savait presque rien à mon sujet, d’où je venais, mon école, ma famille, ma vie. Et c’était ce qui me rendait si intéressante à leurs yeux. Le fait que je sois si… mystérieuse. Je ne sais pas pourquoi je ressens le besoin de tout mettre ça par écrit. Peut-être parce que je ne veux pas oublier. Ou peut-être parce que je veux oublier. Je ne comprends pas trop ma tête en ce moment. Kev y est trop présent j’imagine.

Je les aie rencontrés par hasard et j’ai toujours continué de les voir en cachette. Ils étaient mon secret. Techniquement, je n’ai rien prouve leur existence (si ce n’était de la lettre de Kev) et c’est la même chose de leur côté. On était comme une bande secrète. Et c’est ça qui rendait la chose tellement cool, c’est ce qui me poussait à continuer de les voir.

Je les voyais après l’école, alors que mes amies pensaient que j’allais à des cours supplémentaires. On était quatre. Kev, Casey et Ted. Je ne connais pas leurs noms de famille. Pas important de toute façon. On a fait des millions de mauvais coups ensemble, pires que ce que je faisais au primaire. Je ne les nommerais pas, ça prendrait top de temps! On était ce que les studios d’Hollywood pourraient considérer comme une gang de rue. Même si on n’était pas nombreux. De toute façon, ça ne change rien au fait que quand les gens nous croisaient dans la rue, ils changeaient de trottoir.

Kev et Casey sortaient ensemble avant même que je les rencontre. Alors Ted et moi, on les niaisait quand ils s’embrassaient devant nous. Ted, c’est le gars avec qui je niaisais toujours. C’était aussi un grand gars, pas mal fort. Mais gentil si il te fait confiance. Il me passait toujours sa veste de cuir, trop grande pour moi. Elle sentait bon. Casey, elle, ce n’était pas une amie très proche. Mais elle avait des idées tordues et assez bizarres. C’est ce qui me plaisait chez elle. On avait aussi notre solidarité féminine, quand les gars partaient de leur côté, on ne se laissait pas tomber. Et ensuite, il y a Kev, mon confident. Celui pour qui j’écris ces souvenirs. Il était fort et grand, comme Ted. Mais un peu moins imposant. Et il avait des yeux verts, très verts.  Et il était d’une gentillesse! On se demandait vraiment ce qu’il faisait avec nous. Incapable de faire du mal à une mouche. Il se sentait mal lorsqu’il écrasait un insecte par accident! Mais attention, si on touchait à quelqu’un de la gang, il allait se servir de ses poings, et très rapidement! C’est le seul qui m’a demandé mon vrai nom. Il savait tout de moi. Que j’allais dans une école privée (sacrilège aux yeux de Casey) alors qu’ils étaient tous dans une école publique. Selon eux, les écoles privées étaient remplis de snob, sans exception! Mais Kev savait, et il n’a rien dit et il comprenait.

Mais un jour, le Paradis a laissé sa place à l’Enfer.  Kev a commencé à manquer nos rencontres. Si quelqu’un ne les manquaient jamais, c’était bien lui! Quand j’en ai parlé à Casey, ses yeux déjà foncés, se sont assombris comme les cendres. Elle m’a regardé et m’a raconté tout. À la fin, elle était dans mes bras et elle pleurait. Secouée de sanglot, elle se retenait à moi comme à une bouée. Ted l’a ramenée chez elle, et le lendemain, j’ai fait semblant d’être malade.

À l’école de Kev, il y avait ce réseau de drogue. Et ce gars, de secondaire 5 qui le dirigeait. Il a essayé d’enrôler Kev. Il était si gentil, qu’aucun prof ne se douterait de lui, jamais. Mais Kev a refusé. Et le pire est arrivé. Les casiers ont été fouillés et le gars avait caché de la drogue dans le casier de Kev. Il a été renvoyé et est rentré chez lui ce jour-là avec un casier judiciaire. Rare furent les écoles qui voulaient de lui. Et que dire de son futur. Il sombra dans la déprime.

Après que Casey m’eut raconté l’histoire de Kev et qu’une fin de semaine passa, on se donnait des tours de rôles pour le surveillé. On avait peur pour lui. Je crois que la seule chose qui le tenait en vie était la peur que quelqu’un trouve son corps et finisse dans le même était qu’il était à ce moment-là. 

Une journée, je suis arrivée un peu en retard chez lui. Je devais être seule avec lui pendant un moment. Et il en a profité, le salaud.

Je suis rentré et la première chose que j’ai vue était une lettre sur la table. Écrite par Kev. Cette lettre, qui me suit partout dans ma pochette d’ordinateur :

« Je m’excuse Freakles

Si tout est comme d’habitude, ça devrait être ton tour de garde :)

Je t’ai choisie parce que je savais que t’aurais pas peur comme Ted ou Casey. Tu ne crieras pas comme ma mère.

Dis à la gang que je les aimes

Adieu,

Kev »

Après, tout s’est passé très vite. Je suis allée dans sa chambre et j’ai vu. Le banc renversé. Tout parfaitement rangé. Les pieds flottants. Et ses yeux. Perdus dans le néant. J’ai pris le banc et je suis montée dessus. J’ai fermé sa bouche et ses yeux. Il aurait eu l’air de dormir si ce n’était de cette ceinture. J’ai appelé Casey. Elle criait au téléphone. Je lui ai dit de m’oublier. De ne pas m’appeler. Elle s’est calmée et a dit qu’elle comprenait. Elle dira qu’elle a trouvé le corps. Je n’ai pas mentionné la lettre. Kev savait que je n’allais pas être trop ébranlée. Que j’étais assez forte pour voir un cadavre. Mais n’empêche, que voir son ami, son confident, pendre au bout d’une ceinture, est une vision…

J’ai manqué ses funérailles. Elles étaient le 18 mai. Il est parti le 14. La dernière fois que j’ai vu Casey et Ted, on était au Fairview. On s’est longtemps regardé et on est parti chacun de notre côté. Sans échangé un seul mot.

Avant, je pouvais frapper n’importe qui, tant qu’il me tapait sur les nerfs. Mais depuis que j’ai vu Kev comme ça… je peux plus. C’est comme s’il retenait mon poing à chaque fois.

J'ai perdu mon meilleur ami, j'ai perdu une partie de moi. Je ne serais plus jamais la gentille petite fille qui un jour, s'est trompée d'autobus.

Le 14 maiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant