Adèle, 20 février 2013

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Avant d'avoir des enfants, j'ai souvent fait ce même rêve. Ou plutôt devrais-je dire, ce même cauchemar. J'étais occupée à lire, ou à étudier, quand soudain l'angoisse me saisissait. Je me rappelais brusquement que j'avais un bébé, et qu'il était probablement mort, depuis le temps que je ne m'en étais pas occupée. Je savais qu'il fallait que j'aille le voir, mais j'étais comme paralysée. Plus j'attendais, plus ma terreur grandissait. Je ne me rappelais pas où je l'avais laissé, et je me mettais à fouiller l'appartement désespérément. Quand enfin je retrouvais l'enfant, je n'osais pas le regarder, mais je savais qu'il ne bougeait plus, qu'il ne respirait plus, il était comme desséché, et ce petit corps sans vie m'emplissait de dégoût. La culpabilité et la responsabilité m'étouffaient. Lorsque je me réveillais, paniquée, et que je m'apercevais que mon crime n'était que le fruit de mon imagination délirante, je reprenais mon souffle avec soulagement, c'était comme si j'avais gardé la tête sous l'eau et qu'enfin je pouvais respirer à l'air libre. Une fois devenue mère dans la vraie vie, je n'ai plus jamais fait ce cauchemar. Mais l'angoisse ne m'a pas quittée, bien au contraire.

Ça a commencé quand ils étaient tous petits. Quand le bébé vient de naître, on tient littéralement la vie de son enfant entre ses mains. Peur de mal de tenir sa tête, peur qu'il cesse subitement de respirer pendant son sommeil, peur de le faire tomber, peu qu'il se noie dans son bain. Quand je donnais leur bain à Abel et Robin au début, j'avais toujours à l'esprit cette réflexion d'une sage-femme qui nous avait dit qu'un bébé pouvait se noyer en une vingtaine de secondes, dans quelques centimètres d'eau, en silence. C'est le silence qui m'effrayait le plus, l'idée que ce petit être était si vulnérable qu'il ne pouvait pas appeler à l'aide, même quand sa vie était en jeu.

Jean trouve que je m'inquiète trop. La perception différente que nous avons du danger est source de disputes. Mais un accident est si vite arrivé, comme on dit. J'ai l'impression de passer ma vie à anticiper le pire, mais peut-être est-ce la seule façon de vraiment protéger ses enfants ? Leur père pense que mon angoisse risque de les perturber, mais je ne peux pas m'empêcher d'être à l'affût du moindre risque. Cette attention de tous les instants m'épuise, je ne sais pas comment font les autres parents. Pour me donner du courage, je me dis que je serai moins inquiète quand ils grandiront. Mais au fond de moi, je sais bien que je ne cesserai jamais d'avoir peur pour eux. 

L'autre filsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant