Episode 2

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Quelle femme normalement constituée ne profiterait pas d'un bouquet envoyé par un prétendant pour titiller la jalousie d'un compagnon un peu distrait ? Distrait au point d'oublier de l'embrasser avant de partir. Distrait au point d'oublier de la demander en mariage après trois ans de vie commune. Distrait au point d'oublier de lui faire l'enfant dont elle rêvait....

Clara prit le temps de disposer les lys blancs dans grand vase, sur la console de l'entrée, le genre de signal que même un grand malade de la distraction ne pouvait rater en rentrant chez lui. Elle se demanda si elle laissait aussi la carte en évidence, et puis non. Les mots de Christian Bobin étaient pour elle. C'était son secret.

Elle regarda le bouquet, puis la carte de visite et sourit. Les fleurs venaient de chez Lachaume. L'amoureux mystère faisait dans le grand chic. « Toi mon pote, tu ne vas pas rester inconnu très longtemps » dit-elle au carton de bristol.

Un quart d'heure plus tard, elle était rue du Faubourg Saint Honoré et garait sa Smart noire devant l'enseigne du plus célèbre des fleuristes. Deux grands bacs de lilas en fleurs montaient la garde de chaque côté la porte de verre. Clara s'avança vers l'accueil. Une jeune femme blonde lui demanda si elle pouvait l'aider. Elle posa la carte sur le comptoir.

– J'ai reçu un bouquet de lys ce matin, 32 rue des Boulainvilliers. J'aimerais remercier la personne qui me l'a envoyé, malheureusement elle a oublié de signer la carte, pourriez-vous m'indiquer son nom ?

La blonde ne sembla pas plus surprise que ça. Elle regarda la carte avec un sourire amusé.

– Ah oui, attendez un petit instant...

Elle farfouilla dans un tiroir et lui tendit une petite enveloppe.

– La personne en question a laissé ça pour vous.

Clara déchira fébrilement l'enveloppe, dans quelques secondes elle allait savoir...

« Bien joué Clara ! Mais il va falloir chercher un peu mieux ! »

La phrase manuscrite en grandes lettres de bic bleu s'étalait sur le bristol. Elle se força à respirer. Calmement. Et écrabouilla tout aussi calmement le carton entre ses doigts. Ce type était un gros con. Elle se pencha vers la femme blonde en oubliant de sourire

– Qui est-ce ? demanda-t-elle froidement

– Je suis désolée, je ne peux rien dire. J'ai promis.

– C'est un bon client c'est ça ? Un mec qui s'amuse à envoyer des bouquets à tout Paris en espérant que les femmes tombent dans son lit ?

La blonde parut choquée

– Mais pas du tout ! C'est un ami.

– Ah ! C'est un homme ! Je le savais.

Évidemment, elle arriva en retard au bureau. Cinq patients étaient déjà assis dans la salle d'attente. Le téléphone sonnait dans le vide et il y avait un grand lys blanc dans un soliflore de verre posé sur son bureau.

– Vous avez vu qui a mis ça là ? cria-t-elle aux patients interloqués en brandissant la fleur.

Ils secouèrent négativement la tête. L'un deux éternua.

– Vous devriez répondre au téléphone, conseilla une femme à la joue gonflée comme celle d'un hamster.

Clara lui lança un regard noir avant de décrocher

– Cabinet médical ?

– ...

– Le docteur Lechevalier...

Elle jeta un œil dans la cour. Pas de Porsche à l'horizon. Ah ! Il se la coulait douce lui. Jamais là avant 10h30.

– Je suis désolée, il n'est pas encore arrivé. Rappelez dans 20 minutes.

– Madame Folin ?

Le docteur Taïeb était sorti de son cabinet pour appeler la patiente suivante. La femme à la joue gonflée se leva pour le suivre. Clara en profita pour examiner discrètement le dentiste. Il avait un visage fin et souriant, surmonté d'une épaisse chevelure noire parsemée de quelques fils gris. Des yeux noir très expressifs, des dents très blanches (tu m'étonnes !), la blouse blanche ouverte sur un tee-shirt noir à col V, une alliance...

– Clara vous allez bien ? Pourquoi vous me dévisagez comme si j'avais des épinards dans les dents?

– Euh... je me demandais juste... est-ce que... vous pourriez me faire un détartrage un de ces jours ?

Il sourit et ça fit comme un éclair blanc lavabo au milieu de sa figure.

– Mais bien sûr, avec plaisir ! Notez-vous même votre rendez-vous dans le cahier quand ça vous arrange !

– Hello Clara !

Une grande brune à l'accent anglais, le regard dissimulé derrière de grosses lunettes noires, venait de pénétrer dans le cabinet.

– Bonjour Madame Pute!

– Madame Pouzzh! Je vous l'ai dit 20 fois Clara, on prononce Pouzzh!

Madame Puth (car telle était l'orthographe exacte de son nom) poussa un soupir d'exaspération.

– Désolée madame Poute, Monsieur Lechevalier n'est pas encore arrive.

– Madame Pouzzh ! Enfin Clara ! lança une voix grave juste derrière l'anglaise. Une voix avec un sourire dedans. C'était bien la première fois que Clara percevait une note d'humour dans la voix de God himself. La patiente se retourna.

– Chris ! J'ai failli attendre !

La porte du cabinet se referma sur le médecin et sa patiente anglaise. Clara appela sa meilleure amie

– Delph ? Rendez-vous ce soir 18h30 au café habituel, j'ai absolument besoin de ton oracle.

Elle raccrocha rapidement et se mordilla la lèvre. Clara se mordait toujours la lèvre pour réfléchir. Le bouquet de lys avait déclenché chez elle un sursaut salvateur. Même si elle ne savait pas qui le lui avait envoyé, cela importait peu. Clara avait reçu le message cinq sur cinq. Et ce message était : « Ça ne peut plus durer. Il faut que quelque chose se passe ». Elle en avait marre d'attendre le bon vouloir d'Eric. Depuis quand Clara Setti était-elle devenue une fille qui attend ?

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