31. Solitude

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Je me forçai à ouvrir la porte le lendemain, dès que le soleil se fut caché derrière la cime des arbres, car je ne pouvais pas rester éternellement enfermée à m'appesantir sur mon sort. Je n'entendais rien d'autre que la faune et la flore en mouvement dans les alentours. Une odeur de feuilles séchées et de mousse embaumait l'endroit, semblant vouloir apaiser ma solitude et contrastait avec celle nauséabonde qui régnait à l'intérieur de la maisonnette.
Après avoir fait le tour de la bâtisse, je revins vers la porte d'entrée et jetai un regard à l'intérieur. Tout y était désespérément poussiéreux et terne ! Je ne savais pas combien de temps j'allais rester ici, mais je ne pouvais décemment pas passer une journée de plus dans cette crasse. En outre, j'avais le besoin urgent de m'occuper l'esprit.
Je n'attendis pas une minute de plus et commençai par aller ouvrir les fenêtres et sortir le matelas à l'air libre. Ma priorité étant d'arriver à me débarrasser de cette odeur infecte de moisi. Je traînai ce dernier dehors non sans mal et après l'avoir frappé avec une branche pour en extraire la poussière, je le laissai sécher contre un arbre. Je m'attaquai ensuite à la poussière et aux toiles d'araignée en utilisant le vieux balai élimé que je trouvai dissimulé dans un coin. Je découvris quelques objets abandonnés comme des ustensiles de cuisine, des verres et des bouteilles vides. Malgré ces preuves de passage, je doutai que quelqu'un ait réellement vécu ici un jour.
Au bout de plusieurs heures, satisfaite de ce que j'avais accompli, je m'assis sur le seuil de l'entrée. Il n'y avait décidément pas grand-chose à voir de là où je me situais si ce n'est la voiture garée en contrebas et la forêt tout autour. Tout était tellement calme, qu'il me sembla percevoir au loin le bruit sourd d'un ruisseau. Un bruit auquel je n'avais pas fait attention jusque-là, mais une découverte qui me réjouit étant donné qu'il n'y avait pas l'eau courante à la cabane et que ce point d'eau signifiait rien de moins qu'un endroit où me laver.
Après m'être levée, je refis encore une fois un tour, souhaitant me familiariser avec les lieux qui déjà m'apparaissaient moins hostiles. Sur l'arrière de la cabane, un monticule de bois était amoncelé, il y avait même encore une vieille hache toute rouillée enfoncée dans un billot. Allez savoir pourquoi, cette vision me fit immédiatement penser à ce dissocié, Nathan. Je m'interrogeai sur le lien qui pouvait bien exister entre lui et ce coin perdu. Comment pouvait-il affirmer que ce lieu était protégé en dehors du fait qu'il se trouvait loin de tout? Qui était-il vraiment et comment avait-il vécu toutes ces années en lien étroit avec le Conseil, à traquer les dissociés de sa propre génération?! Avait-il participé activement à leur élimination ou n'avait-il été qu'une sorte de "détecteur"? Je finis par me questionner sur ce que j'aurais fait si je m'étais retrouvée moi-même dans la même configuration. Et je devais bien admettre que je n'en avais pas la moindre idée...
Il avait semblé dire que le fait que je sois "consciente" de qui j'étais, l'avait empêché de me faire du mal. Mais avec le recul, je me demandais si c'était la seule raison. Peut-être attendait-il que je finisse par le mener près de mes sauveurs pour les punir de mon sauvetage. À cette idée, je frissonnai, car si tel était le cas je ne devrais en aucun cas retourner sur Londres... D'un autre côté, il m'avait paru sincère et si son geste était bel et bien sans arrière-pensée, je devais reconnaître qu'il avait pris un gros risque pour moi!
J'étais perdue, mais quelque part depuis notre rencontre, son sort ne m'était plus indifférent. Il m'avait tout de même confirmé que nous étions les seuls rescapés de notre génération. Et d'une certaine façon, cela ne représentait pas rien! Il m'était difficile de savoir si cette sensation éprouvée en sa présence, que je pouvais presque avec le recul qualifier de "lien", existait entre tous les individus de notre génération puisqu'il était le premier que je croise.
J'avais la crainte de m'éloigner de la cabane par peur viscérale de ne pas retrouver mon chemin, mais je ressentais aussi une irrésistible envie de découvrir à quoi ressemblaient les alentours. Et dès le jour suivant lorsqu'à nouveau le soleil se cacha, je décidai de partir à la recherche de la rivière quand bien même elle devait se trouver à plusieurs kilomètres de là. En plus du désir de plonger mes mains dans cette eau pour m'en asperger le visage, m'occuper l'esprit et combler ma solitude devenait primordial en ce deuxième jour.
Une chose était certaine, le fait d'être une dissociée rendait la vie beaucoup plus simple. Les besoins basiques du quotidien tels que boire, manger, se réchauffer, se reposer étaient inexistants et en plus mes sens m'avertiraient d'un danger éventuel. Il aurait été même envisageable de rester terré ainsi durant des années! Mais l'idée horrible que je puisse finir par rester seule dans cette forêt me terrorisa soudain. Il me fallait à tout prix un point de repère afin de savoir combien de jours exactement allaient s'écouler, sans quoi il serait facile étant donné que je ne dormais pas, de perdre la notion du temps.
Si le mensonge de Nathan n'avait pas été avalé, je devais attendre que les choses se tassent pour espérer retourner sur mes pas. Je devais donc savoir précisément où j'en étais de mon exil forcé. D'ici là, j'aurais trouvé un plan pour rejoindre Noah. J'aurais souhaité quitter cet endroit à l'instant même, mais je ne pouvais pas prendre un tel risque. Noah aurait sans aucun doute encouragé cette attitude prudente de demeurer à l'abri. Rassérénée par cette idée, je fis quelques pas pour mettre la main sur un caillou suffisamment affuté et allai tracer deux petits sillons dans le bois de la porte pour signifier les jours écoulés et, satisfaite, je me mis enfin en route pour chercher la rivière. J'étais à mille lieues d'imaginer ce qui allait se passer le lendemain...

Tout a changé ce jour là!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant